LASNAMIA

Elle et lui

 

Par Youcef

Elle et lui. Une histoire banale en somme. D’une banalité qui fait presque rire. Quasi ridicule. Un amour impossible dit la littérature spécialisée. Ils se sont connus. Normal. Ils se sont aimés. Normal. Ils se sont parlés. Beaucoup même. Normal. Se sont entraidés. Normal. A priori rien ne prédestinait à leur rencontre. Ni leur physique, ni la distance qui les sépare, ni leurs milieux sociaux. Pas même leurs passions. Des centaines de mails, des centaines d’heures au téléphone. Des sms ayant épuisés plus d’une fois leurs forfaits téléphoniques. Skype, Viber, facebook. Toute la technologie mobilisée pour maintenir le lien qui les unissait parfois jusqu'à épuisement. Tout y passait : Les recettes de gratins, Yasmina Khadra, le système LMD, la poésie, la chanson, la peinture, la famille,  les transports, les blagues… Puis un jour, la réalité les a rattrapés. Sans avertir. Comme le cancer qui s’invite en s’imposant. Sans possibilité d’accepter  ou non cette invitation. Stop ! Stop ? Oui Stop ! Pour se consoler, il lui vint à l’esprit le « Tout a un début, une existence et une fin ».  Ça console les belles phrases. Un temps…

Il lui composa ce poème ridicule. Son premier poème abouti.

 

Mélancolique, je le suis

Offensé, je le vis

Nerveux, j’en souffre

Abattu, je le sens

Malheureux, j’endure

Obsessionnel, je supporte

Univoque dans mes pensées

Réaliste dans mes idées

Candide

Amoureux

Cruelle destinée

Humain

Epuisé

 

Ce poème n’obéit à aucune règle. Ni versification, ni rimes, ni rythmes. Il a tenté de placer les mots qui lui sont venus à l’esprit. Treize adjectifs qualificatifs ! Pour dire. Dire quoi ? Dire n’importe quoi mais dire. Dire l’absurdité de cette vie. Il a fait lire ce poème par des amis pour avoir leur avis. Désemparé. Ils n’ont rien compris. Ils n’ont même pas relevé l’acrostiche. . En guise de réponse, l’un d’eux lui a adressé un long article sur la dépendance alimentaire de l’Algérie. Un autre, un article sur la dépendance affective. La dépendance ! « État, situation de quelqu'un, d'un groupe, qui n'a pas son autonomie par rapport à un autre, qui n'est pas libre d'agir à sa guise » dit le Larousse. Pierre Larousse : l’homme aux deux devises. La sienne « « Instruire tout le monde et sur toute chose » et celle de son dico  « Je sème à tout vent ». Il a lu les deux articles. Tout aussi ridicules que son poème. La dépendance alimentaire d’un pays riche ? Une aberration sur laquelle il n’a ni le temps ni l’énergie pour la commenter. La dépendance affective ? Un fonds de commerce pour les psys. Pfffffffffff comme dit si intelligemment Aicha. Bof comme dit Said. Perdu ! Il est perdu !
Elle ? C’est 
Je m’éveille je pense a toi 
Il fait soleil je pense a toi 
On me téléphone je parle 
Je pense a toi 
Il se fait tard je pense a toi 
Si on rentrait je pense a toi 
Je n’était pas très drôle ce soir 
Je pensais a toi

 

Pareil. Plus que ridicule. Ce ne sont pas ses mots. Ce sont les mots des autres. Rien de personnel. On ramasse des mots et on les jette à l’autre comme « preuve d’amour ». Incapable de produire ses propres mots. Mais pardonnée quand même. Qu’est ce les mots ? Des mots. Rien d’autre d’autre. Qu’est ce la passion ? Il  n’en sait rien. On ne peut tout expliquer. Et puis à quoi bon expliquer ? Et à qui expliquer ? Quand il adresse ce qu’il pense être un poème « pour avis » et qu’on lui rappelle la fronde des étudiants, la crise du logement, les accidents de la route, la polémique avec KD et la maladie du Président.

C’est donc la fin. Comme dans les films. Mais l’œil reste rivé sur le téléphone. Sonnera t-il ?

Une agricultrice envoie trois pages d’argumentaire pour justifier sa demande de s’installer à son compte et bénéficier des aides de l’Europe. A la simple lecture de cette phrase « J’ai perdu mon mari suite à une crise cardiaque, et je suis dans l’obligation de reprendre l’exploitation agricole… » , il a arrêté la lecture puis lui donna le feu vert. Sans même vérifier, comme l’exige la loi, ses compétences techniques agricoles. Envahi par l’émotion. Il lui donna sa chance. Une chance qu’il n’a pas eu. Lui !

Quand sa vie est cadencée par le rythme de l’autre. Quand la pensée est confisquée par l’autre. Quand le sens de son existence est déterminé par l’autre. Quand on se disperse dans l’espoir de s’affranchir de son être qui vous habite. Quand on essaye d’être autonome sans avoir suivi des séances de psy. Quand on lit pour s’évader. Quand on écoute de la musique pour oublier. Quand on lit des poèmes qui expriment ce qu’on ne peut exprimer. Quand on voyage pour s’aérer l’esprit. Quand on arrive à aimer des gratins brûlés. Quand on se donne pour les autres.  Quand on se remet à Dieu pour l’implorer. Quand on s’investit dans son travail pour être performant. Alors on est épuisé. On relit le ridicule poème. On se désole pour cette infirmité d’écrire. Puis on le jette. A la poubelle ! Et la vie continue :!



22/11/2014
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