LASNAMIA

Mauvaise passe ( Le Quotidien d'Oran du 12/9/2015)

 

 
 
Mauvaise passe
 
 

par Hamid Dahmani

 

 

L'autre jour de bon matin et à partir de la charmante ville de Koléa, j'ai pris le bus collectif pour me rendre au quartier de Tafoura à Alger-centre. J'étais assis sur un siège du côté de la vitre et je regardais défiler le beau paysage algérois qui surplombait la mer et devant moi, il y avait deux passagers d'un âge avancé et qui papotaient entre eux sur le quotidien de la vie difficile de tous les jours et le plus vieux des deux soupira et s'exclama à haute voix dans le bus : «T'mermedna bekri ya khouya, ou dharouek el-hamdouleh !» (On a souffert dans le passé, mais aujourd'hui on remercie Dieu). 

Cette réflexion usitée souvent par des gens du milieu populaire est venue soudainement se coller à mon esprit comme une curiosité originale pour bousculer, pendant un long moment, mes affaires du jour et prendre une grande part de mon attention et de ma pensée pendant ce petit voyage vers El-Bahdja et chemin faisant, je me suis posé la question sur ce terme de «t'mermid» qui reste étranger à la langue arabe classique et insolite dans notre dialecte parlé dans la rue. 

Emporté par le désir de connaissance et de recherche qui me tarabustait l'esprit, je me suis posé la question : mais d'où vient cette expression simple et populaire et quelle est son origine ? Une expression utilisée et entendue souvent «men bekri» et qui désigne le dégoût, la misère, el-hogra, la corvée, la souffrance et toute la poisse de la vie misérable de quelqu'un. C'est vrai, quand on parle d'un malchanceux et qu'on a pitié de lui, on dit «t'mermed mesquine fi h'yatou !» (Il a souffert dans sa vie le pauvre), «guellek merm'douh !» (Ils l'ont traîné dans la m…). 

La signification de ce mot emprunté au français et arabisé pour le besoin de la simplicité de l'expression orale tire son origine du mot grotesque «m…» (sauf votre respect!) selon les on-dit. Et c'est vrai que chez les roumis, quand on parle d'une personne qui est dans une situation confuse et pour décrire le calvaire et les moments difficiles dans lesquels elle se débat, on emploie cette citation familière : «rah fi hala mesquine !» (être dans une mauvaise passe). 

C'est kif-kif pour «t'miserna» qui tire ses origines du mot français misère. «Kalimete t'mermid» est un mot qui tire son origine des synonymes qui désignent la saleté, la mélasse, la gadoue, les ordures qui sont attachés au dégoût de la vie et au désespoir des gens qui ont goûté à l'amertume, la peine, l'injustice dans ce bas monde… 

Mais ce qu'il y a de beau dans toutes ces expressions inventées et toujours d'actualité aujourd'hui, c'est la préservation de ce fabuleux lexique original qui est bien entretenu dans notre «derdja» qui est une mêlée de deux langues (arabe et français) dite «lahdja» (dialecte) et qui relève de notre précieux patrimoine identitaire et si bien conservé et entretenu dans notre langage courant du présent. Plusieurs mariages de mots entre le français et l'arabe ont enrichi notre langage depuis plusieurs décennies pour simplifier la communication entre les gens et ont été adoptés par les utilisateurs dans leurs dialectes parlés algériens depuis la conquête du pays et ont été usités aussi dans de grandes œuvres littéraires françaises. 



12/09/2015
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