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Un conflit d'oignons.Le Quotidien d'Oran du 11/11/20

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Un conflit d'oignons

 

par Hamid Dahmani

 
Au pays des pénuries et de la spéculation, chaque mauvaise saison a sa propre pénurie. Dans le présent, le lait en sachet se fait rare et il manque dans des quartiers populaires et cela fait rager les gens. Notre sachet de lait se fait tellement désirer par les ménages, que pour cette raison, plus de café au lait le matin pour les plus démunis. Et comme un malheur ne vient jamais seul, maintenant ce sont les billets de banque qui sont entrés dans la danse pour pousser le bouchon un peu plus loin. «Khalssa dakhlet, bessah draham makache !» (La paie a été virée, mais il n'y a pas de liquidités). La pénurie tient bon, et partout où l'on va, une forte odeur de pénurie de billets de banque s'est invitée dans les guichets et les distributeurs. Je me rappelle encore de cette époque de la rareté et de la pénurie récurrente des produits de première nécessité du temps de la politique socialiste agricole. Il était une fois «el-bsal», l'oignon qui demeure à nos jours le nerf de la marmite et de la cuisine. Et il fallait absolument des oignons bien émincés pour toute préparation culinaire. Partout, dans les marchés et chez les commerçants, c'était la tension. «Ki t'goul haba b'sal!» à vendre.

Les oignons se vendaient sous la table, alors que normalement ce produit «ma yeswech basla!» (Il ne vaut pas un oignon). Le «b'sal» à cette époque dégageait une forte odeur d'insuffisance dans les marchés non couverts à cause de la crise. Les oignons avaient la cote et étaient alignés au même niveau sur l'étal que les fruits importés comme les bananes et les pommes. «Ich t'chouf!» On a même importé des oignons pour inonder le marché avec du «b'sal». Quelle odeur! L'épicier de notre quartier avait une tête «li metes'wech basla». (Une tête qui ne valait pas un oignon). A cette date-là, il faisait de la vente concomitante et nous obligeait à acheter ses invendus comme les biscuits, le Flytox pour avoir 1 kilo d'oignons cachés sous le comptoir. Le «b'sal» rouge ou blanc nous donnait des envies et nous faisait larmoyer de plaisir. On en rêvait et on cauchemardait de l'oignon la nuit venue. Le b'sal avait disparu des entrepôts et des carreaux des mandataires soudainement. Lorsqu'on posait la question aux responsables de la régulation du marché des légumes pour savoir pourquoi c'est toujours la même pénurie de b'sal qui revient chaque année, on se permettait aussi ce commentaire : «Vous êtes nuls face aux b'sal. Vous ne faites pas le poids!», leur criait-on. Ils nous répondaient toujours sournoisement : «Mêlez-vous de vos oignons! Et puis d'abord, ce ne sont pas vos oignons!». Il faut reconnaitre que l'oignon est une plante potagère incontournable dans la «tchektchouka» algérienne. Notre voisine, madame Dalila, n'arrêtait pas, du matin au soir, de taper à la porte et de réclamer gentiment : «Kech ras b'sal pour préparer ma soupe ?»

Quand le b'sal vient à manquer, rien ne va plus à la cuisine. Ce n'était pas une mince affaire de courir les marchés à la recherche de ce légume chaque jour. On transpirait et on sentait l'oignon la nuit venue, à force de lui courir après.

A présent, hamdoullah, l'odeur de l'oignon est partout et on ne se plaint pas. On est gavé aux petits oignons et la mercuriale s'est stabilisée. Et malgré son prix très élevé à notre goût, il n'y a plus de conflit d'oignon à la maison.



11/11/2020
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