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Des traditions spirituelles, culturelles et littéraires maghrébines Par Mohamed Ghriss.(Journal Liberté de 14/6/2016

L’AVÈNEMENT DE L’ISLAM AU MAGHREB

Des traditions spirituelles, culturelles et littéraires maghrébines

 
 

Fortement enracinée dans les esprits, la tradition orale, en dépit des diverses littératures écrites présentes du punique, latin, etc., ne connut une véritable mutation socioculturelle au Maghreb médiéval, vraisemblablement, qu'avec l’irruption du Coran, le premier livre qui a totalement (ou presque) imprégné la société quasiment “verbale” où il a surgi, à l’instar, d’ailleurs, de la société arabe moyen-orientale, essentiellement orale où il est apparu. L’écriture arabe préexistante avant l’avènement coranique n’ayant guère eu de prégnance large en se référant aux textes d'historiens et littérateurs orientalistes comme Lévy Provençal, François Dusso… Dans ce contexte, et pour reprendre les propos de Nassim Khoury : “Le Coran est le premier livre qui ait fait irruption dans une société «verbale». Il se superpose à l’improvisation et à la «bédouinité» pour proposer une vie nouvelle. Nous pouvons dire qu’il est une réinvention de monde par la révélation, mais sous une forme concrète et écrite, une forme qui a remis l’univers réel et irréel dans un système linguistique, une vision spéciale du monde exprimé par la révélation également spéciale d’Allah. (…) l’islam, dans son mouvement d’une part, et dans cette nouvelle écriture d’autre part, constitue la première apparition de la modernité dans la société arabe, apparition qui a impliqué une vision large et profonde de l’univers et poussé l’homme à découvrir le monde et les civilisations de l’époque. Cette écriture a pris sur la pratique deux sens : l’écriture mihna (métier) commencée avec le Coran, ou écrivain signifiait scribe, et l’écriture dans un sens créateur, parue à la fin du VIIe siècle, où l’écrivain signifiât auteur. Ce dernier sens a été établi comme moderne au VIIIe siècle ; il a acquis sa maturité avec les écrivains soufis tels qu’Al-Halladj, Al-Tawhidi, etc., chez qui l’âme rejoignait le divin et fusionnait avec lui. Le «je»  de l’auteur devient un «autre». Les soufites ont considéré l’écriture non comme une simple rédaction, mais comme une possibilité de transmission de leur vision.”(1)
 Avec l’islamisation progressive du Maghreb, le ton est donné également à la quête d'une symbiose harmonieuse progressive des diverses cultures et langages autochtones qui vont tout autant progressivement s’interpénétrer et se féconder, tout au long d’un laborieux processus maturatif : processus d'harmonisation des divers paramètres linguistiques, culturels et spirituels de l’africanité, amazighité, arabité, islamité et méditerranéité…, lent processus de maturation, qu'on devine aisément marqué de heurts fréquents et cycliques à chaque période d'évolution historique et d'exacerbation des rapports de force notamment. Le multilinguisme complexe lié à l'histoire du Maghreb en général (présence berbère, punique et romaine, conquête arabe, présence andalouse ou juive, influence espagnole, portugaise, turque et française…) a de tout temps joué un rôle important dans la formation et l'évolution culturelle de l'Afrique du Nord, influençant fortement l'arabe mais également dans le berbère. L'arabisation du Maghreb qui a commencé avec la première phase (VIIIe – XIIe siècles) appelée hilalienne s'est faite à partir de noyaux limités des populations arabes ou arabisées le long des voies commerciales surtout, mais la seconde phase, dite hilalienne est le fait de groupes arabe arrivés au XIIe – XIIIe siècles.
Avec le temps, des régions se sont arabisées mais parfois aussi à nouveau berbérisées comme en témoignent les parlers citadins reflétant l'histoire de l'urbanisation et l'importance des legs culturels pré-hilaliens andalous et juifs dans certains vieux centres urbains comme Alger, Constantine, Tlemcen, en Algérie, ou Tunis, Gafsa en Tunisie, Fès, Rabat, Tétouan,Tanger, Casablanca au Maroc. Selon l'historien B. Rosenberger, les premiers conquérants arabes du Maghreb ont créé des cités mais ils étaient peu nombreux et ce sont les populations autochtones arabisées ou bilingues qui ont rapidement peuplé les villes. La population d'origine arabe était très minoritaire et le processus d'arabisation linguistique se complétant pour mettre en lumière, dans ce contexte, la spécificité des parlers maghrébins en général, et dans les grands centres urbains de Tlemcen, Béjaïa, Alger, Rabat, Casablanca, Tanger, Tunis, Gafsa tout particulièrement là où en somme régnait la diversité dialectale, y compris un certain accent phonémique en arabe andalou (qu'on retrouve dans les “mouachahate” musicales), le judéo-arabe qui est souvent rattaché aux dialectes pré-hilaliens et dont on retrouve la trace dans la littérature orale ancienne (contes, proverbes, poèmes, chants, récits narratifs) : une production littéraire qui s'est aussi approprié par la suite un très vaste corpus de littérature orale d'origine musulmane, le cas de transferts inverses ou des locuteurs musulmans ont intégré des spécifiés du judéo-arabe n'étant pas moins vrais, selon un spécialiste de la dialectologie maghrébine J. Chetrit. Ce dernier fournissant des éléments très documentés dans un article sur la question de la spécificité du judéo-arabe (Actes d'une table ronde sur la dialectologie l'évolution des parlers et des phénomènes de contact Marrakech 12-15 janvier 1995) (2) souligne que “l'interférence d'une langue à une autre ne doit pas être envisagée du seul point de vue grammatical et lexical mais aussi dans ses dimensions culturelles et religieuses”. Lors de ces mêmes Actes, le chercheur M. El-Medlaoui, poursuivant dans la direction, montre à quel point l'évolution de l'arabe marocain et maghrébin en général est en partie fonction d’un ensemble de contraintes issues du berbère, alors que O. Durand, dans un article très technique sur la phonologie du marocain parent du dialecte maghrébin (découpage syllabique, accent, prosodie) insiste sur l'influence du berbère (amazigh) dans la phonétique de l'arabe dialectal marocain. M. Iazzi, pour sa part “aborde la question fondamentale de l'unité et la diversité de la langue amazighe en considérant que les berbérisants ont trop eu tendance à se focaliser sur les différences phonologiques et lexicales et à sous-estimer l'unicité morphologique”. Ces études très importantes pour comprendre l'évolution diachronique d'une langue inaugurent peut-être une ère nouvelle sur les parlers arabes et berbères.

M. G



14/06/2016
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