LASNAMIA

C'est la fin des haricots.( Le Quotidien d'Oran du 31/07/2018)

  
C'est la fin des haricots
 

par Hamid Dahmani

 

A la maison, quand je suis en compagnie de ma mère, je converse souvent avec elle de politique générale d'une manière sommaire pour la distraire. Avec ma vieille maman, qui a un âge avancé, il nous arrive des fois, tous les deux assis devant la télé allumée, au moment du JT de l'unique, de papoter ensemble sur les grands bouleversements qui sont en train de retransformer le monde et le bled dans lequel nous vivons tristement maintenant. Et pour répondre à tous ces événements inquiétants et menaçants rapportés par les médias du monde, elle a toujours cette expression fataliste sur le bout de la langue : «Ya oulidi, hadha akhir l'hal !» (C'est la fin du monde). Roba, ma mère, n'a plus ses vingt ans d'antan, comme il était une fois dans sa belle jeunesse. Sa santé décline et elle s'altère lentement chaque année qui passe. Sa vue a baissé depuis le temps et son ouïe n'est plus fine comme avant. Aussi, quand elle est devant le poste de télévision, elle parle, elle interroge et pose beaucoup de questions sur les sujets d'actualité pour être à jour avec «lakhbar». Ma mère ne manquerait pas les infos du jour même pour un plat succulent de (batata koucha). L'autre jour, elle a entendu le ministre de l'Agriculture parler de pomme de terre en quintaux à la télé et elle n'a pas bien saisi ce qui se disait dans le tube «digestif», pardon, le tube cathodique. «Qu'est-ce qu'il raconte le monsieur ?» qu'elle me dit. «Le gouvernement «rah igoul» que la population algérienne mange beaucoup trop de «batata» dans le pays et cela perturbe beaucoup les prévisions des bureaucrates. Aussi, les experts en tubercule se sont penchés sur ce phénomène et ils ont décidé de nous interpeller, pour nous informer que chaque habitant consomme plus de 111 kilos de pommes de terre annuellement et que cela revient beaucoup trop cher sur le budget «taa dawla», en comparaison avec d'autres pays. Et pour sensibiliser les consommateurs, ils ont décrété une journée nationale de la pomme de terre, en attendant de voir plus clair et comment faire. Donc, adieu «mâkouda», mousseline, frites et même chips. « Goutlek, akhir el hal ya oulidi, et que va-t-on manger alors ?» a lancé ma mère. C'est la fin du monde, mon fils, et le comble, ils veulent maintenant nous priver de manger des frites avant de partir dans l'autre monde. Voilà qu'après l'interdiction des pommes sur le marché national, maintenant, «hafitouna fi kilou batata» parce qu'on apaise notre faim avec de la pomme de terre de chez nous. Ne te casse pas la tête el edjouz, tant qu'il y aura des hommes à Mascara et Aïn Defla, tu mangeras encore des patates, avec ou sans le bon vouloir de ces décideurs. Hier aussi, à la télévision, nous avons vu l'incroyable, des harraga, hommes, femmes et enfants, noyés et dont les corps flottaient au milieu d'épaves en pleine mer, «ya latif», Dieu nous protège. Je te dis que c'est la fin du monde mon fils, tout le continent veut s'en aller dans le continent d'en face, parce que c'est bientôt la fin des haricots dans cet immense territoire où le bonheur s'est envolé. «Cha b'ka, ki idji l'wazir» (le ministre) pour causer à la télé de quelques kilogrammes de patates «Ziyada fel mizane» (en plus dans la pesée). «Ih, ya oulidi» (oui mon fils), jadis, les anciens disaient qu'un jour viendra où ce sera le tour de l'Afrique de coloniser toute l'Europe sans tirer une balle sur les roumis. «Wallah, akhir hal», se dessine comme on l'avait prédit. Maintenant, nous y voilà et nous y sommes presque dans le cœur de l'histoire. Tu n'as pas entendu la dernière, le président français est emmêlé aussi jusqu'au cou, dans une affaire floue de copinage, et on dit déjà qu'il va être bientôt remplacé à la tête de la présidence. «Amma, je vois que tu es à jour avec les infos internationales». «Gouli, dawla taana» (le gouvernement) ne l'a pas encore félicité, avec une barkia (message), pour cette affaire capricieuse et surprenante». «Mère, ne mélange pas les torchons et les serviettes, STP, ceci est une affaire dite «secret d'Etat»… qui fâche seulement les Français, mais qui n'a aucun lien avec la surconsommation des patates décriée par le gouvernement algérien. «El fana, ya oulidi, el fana, Allah yestor». (C'est la fin du monde, mon fils, qu'Allah nous préserve). «Ne t'inquiète pas trop, mère, il est temps d'éteindre le téléviseur et de te coucher et de ne pas trop penser à la fin du monde…». 


31/07/2018
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