LASNAMIA

Causer avec un puits( Le Quotidien d'Oran du 17/7/2016)

 
 
 
 
Causer avec un puits

 

 

 

par Hamid Dahmani

 

 

Jadis, dans la lointaine époque du pays, l'eau n'était pas encore courante dans les foyers. Aussi, pour disposer de ce précieux liquide vital chez soi, chaque maison avait un puits d'eau au milieu de sa cour. Un puits traditionnel creusé de façon artisanale par un puisatier. Aujourd'hui, rares sont les maisons anciennes qui conservent encore ce luxe et qui profitent des bienfaits de cette eau naturelle souterraine. Le puits était creusé dans la tradition algérienne, dans la courette de la maison. Un ouvrage ingénieux, et réalisé par le maitre des lieux pour les besoins domestiques de la famille. Un puits, c'est plein de mystères et d'histoires de «h'affar lebier». Et, depuis cet âge-là, il y a des légendes étonnantes à raconter sur les puits et les «h'assi», dans la vie et l'expression populaire. Puits d'eau, puits de pétrole, puits offshore, puis à souhait. Les puits nous donnent le vertige au milieu de cette ère, ou tout est à sec. Le puits a inspiré les poètes, les écrivains et les chanteurs, qui ont vanté les avantages de cet ouvrage merveilleux qui fait le bonheur de son propriétaire. «Talit al bir, qoltlo bouh, qali bouhine…..», est le refrain d'une belle chanson interprétée par la douce voix de Souad Massy l'algérienne. Une voix sublime et enchanteresse qui nous fait voyager sur air musical comme sur un tapis magique, dans l'obscurité du fond du puits. Elle jette un regard au fond du puits et crie, «Bouh !» L'écho en retour, lui répond ; «Bouhine» (façon de lui dire tu peux toujours causer). Le puits est un endroit de curiosité et de charme, pour les enfants et les adultes qui sont attirés par sa profondeur et sa résonnance, quand il nous renvoie son écho. Dans un autre volet relatif au puits, la voix populaire du pays met également en valeur le puits, mais, dans un autre contexte, et cette fois-ci, il est proverbial. (Qal el-methel); «khali el bir b'ghtah» (laisse le puits avec son couvercle). Un proverbe qui signifie cacher ou garder le silence, ne pas dévoiler. Les gens sont prudents et ne se mêlent pas de ce qui ne les regarde pas. Une expression populaire qui nous vient du passé et qui veut dire «couvrons le puits» des regards des curieux. On couvre le mal. On ne cause pas pour éviter les reproches ou les malheurs qui pourraient surgir par la suite. Ici dans le bled on a appris à se taire depuis le temps. On n'aime pas mettre la vérité à nue. Pourtant, on dit que la vérité sort du fond du puits. «Ô puits mystérieux, dis-moi quel est ton secret.» Les gens ne veulent pas s'engager dans la polémique et dans la vie politique et sociale par appréhension. On préfère garder ses distances avec le puits. On observe seulement le reflet de la lune dans le puits. On attend des jours meilleurs pour se décider à réapparaitre comme un seau d'eau à la surface du puits. Les indifférents n'aiment pas ouvrir le couvercle du puits et regarder le fond du puits dans les yeux. Ils ont le vertige et ont peur de la profondeur. Il vaut mieux causer avec un puits que de chuter dedans. «Bouh aalikoum !» crient publiquement, les plus téméraires, aux gardiens des puits cachés. Les gens ne s'intéressent pas aux puits, et préfèrent garder el bir b'ghtah. Ils n'aiment pas se mêler de ce qui ne les regarde pas. Et puis après, un puits avec ou sans couvercle, n'est pas du tout une grande attraction. L'eau du puits est polluée. Les scandales politiques, la corruption, l'injustice, et la fraude, sont le mal récurrent du pays. Un puits ouvert ça dérange, il faut mettre des scellés pour le museler. Il faut envoyer tout le fourbi enquiquinant au fond du puits et refermer le couvercle, et s'en laver les mains. Les gens n'aiment pas se mouiller dans des discussions qui peuvent leurs ramener des histoires. Les sujets qui peuvent offenser ne sont pas traités en public par la crainte du gendarme. «Khali bir b'ghtah», est une pensée des insuffisants et des individualistes. Pour ne pas s'égarer dans une discussion qui pourrait mal tourner, on dit khali bir b'ghtah, pour signifier laissons les choses telles qu'elles sont, et tournons la page. Une façon de se dérober aux questions délicates qui tourmentent notre sérénité. Et puis, il y a eu la chute des prix du pétrole qui a poussé les dirigeants, eux aussi, à ne plus se pencher sur les puits de pétrole. Il faut changer de puits et de fusil d'épaule, ont-ils déclaré «khalou bir el pétrole, be gh'tah !». C'est plein de mauvais esprits. «Oubliez-le !». Il faut creuser un «puits à souhait», et prier, pour qu'il fasse remonter les prix du baril. «Lébière nechfou» (les puits sont à sec). Ils ne sont plus aussi prospères et florissants qu'hier. Les puits ou les forages sont devenus des ennuis dans le présent. «El bir, B'ghtah» ou, sans, ça ne rapporte que des tuiles à ses passionnés, qui sont pris au dépourvu. 


17/07/2016
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