LASNAMIA

Le Centre Culturel Cheikh Larbi Tebessi ex- Albert Camus

Lundi 11 avril 2011 1 11 /04 /Avr /2011 15:12

Il y a cinquante ans, le 4 avril 1961, était inauguré à Orléansville (aujourd’hui Chlef), le Centre Culturel Albert Camus. Ce centre devait être conçu dans le cadre du plan de reconstruction d’Orléansville après le séisme de 1954. Camus qui s’était rendu à Orléansville avait fait part à Miquel et Simounet de ses observations sur un projet de théâtre au sein de ce centre1...( A l’occasion de l’ouverture de ce centre, il y, eut quelques manifestations artistiques. Mon père, le peintre Louis Bénisti, qui avait travaillé avec Miquel et Emery au théâtre de l’Equipe d’Albert Camus dans les années 30, devait de nouveau aider Miquel  en organisant une exposition de peintre amis de Camus. Parmi les artistes qui exposaient, il y avait Galliero, De Maisonseul, Assus, Caillet, Clot, Degueurce, Suzanne Delbays, Thomas-Rouault, Marie Viton, Étienne Chevallier, Maurice Girard, Nicole Algan, Bénisti…..

Le centre n’était pas un théâtre traditionnel, mais un lieu de théâtre, ressemblant aux Maisons de la Culture, que Malraux devait promouvoir dans les années 60 à Chalons sur Saône, Bourges, Thonon, ou Grenoble. Louis Bénisti nous dit dans un entretien de 1990 :: « il est à noter que Miquel et Simounet se sont  mis d’accord pour mettre sur pied toutes les initiatives théâtrales que Camus, Miquel et Simounet, Émery avaient réunis en étudiant non seulement le théâtre à l’Italienne, le cirque romain, le théâtre japonais, le théâtre oriental et ils avaient essayé de réunir tous ces éléments pour faire ce qu’on pourrait appeler un lieu culturel et c’était véritablement un lieu culturel dans lequel il y avait différentes possibilités de manifestations théâtrales. Il est à noter toutefois que je ne sais pour quelles raisons, à cause peut-être du caractère de Simounet et de Miquel et d’Émery aussi, qui certainement avait participé à la réflexion de ce théâtre, ce théâtre  a été bâti avec un certain rigorisme, un certain puritanisme, on pourrait dire que par exemple il y avait une scène qui se déployait devant un amphithéâtre un peu à la romaine, mais un amphithéâtre de béton avec une circulation, mais point de velours et point de fauteuils et point de coussins, chacun  devant apporter les commodités de son siège. »  Il y avait aussi un théâtre de plein air devant la piscine  « sur un théâtre extérieur qui était organisé toujours avec des gradins surplombant un théâtre aquatique constituant une piscine d’un très beau dessin et sur laquelle on pouvait organiser des représentations nautiques. Et ça c’était très beau. »2 La cérémonie d’inauguration commençait à onze heures par un discours de Poncet prononcé dans le théâtre de plein air devant la piscine. Poncet retraça le passé algérien d’Albert Camus et insista sur son intérêt pour la reconstruction d’Orléansville et que «  depuis le 4 janvier 1960, son souvenir nous accompagne chaque jour », il cita Morvan Lebesque qui considérait Camus comme « le dernier des Justes. ». L’après-midi nous devions assister à une série de spectacles de théâtre des pièces qui venaient d’être mis en scène avec des jeunes stagiaires du Centre. Il y avait d’abord Meurtre dans la Cathédrale de TS Eliot, mis en scène par Jean Rodien dans le théâtre couvert, puis un spectacle en langue arabe de Ould Abderramane Kaki, avec beaucoup d’intermèdes musicaux et chorégraphiques, puis nous sommes sortis du théâtre couvert pour assister à la représentation de la Mégère apprivoisée de Shakespeare en langue arabe, mise en scène par Kamel Babadoun, dans le théâtre de plein air devant la piscine. Le spectacle devait se terminer par une plongée des acteurs dans la piscine... Nous sommes de nouveau retourné dans le théâtre couvert où la troupe des Capucines présentait un spectacle pantomime : un conte bulgare, un ballet sur une musique de Duke Ellington. Cette troupe des Capucines était dirigée par Françoise Becht, qui devait devenir la première femme de Simounet. Il y avait dans cette troupe  Boudjemaa Bouhada, qui peu après devait rejoindre la troupe parisienne de Jean-Marie Serreau et jouer dans les pièces de Kateb Yacine. Il devait mourir prématurément en juin 1990. Après un entracte pour nous permettre de nous restaurer, nous devions voir le soir une représentation de Prométhée enchaîné, dans une mise en scène d’Henri Cordreaux.

Au cours de cette journée nous avons beaucoup échangé. Nous avons vu notamment les Perrin, qui avait été le condisciple de Camus et Fréminville dans la classe d’hypokhâgne du Lycée d’Alger3.) . Nous ne nous doutions pas que trois mois plus tard Maurice Perrin devait être assassiné par un commando de l’OAS. 

Peu de temps, après l’inauguration  du ce centre culturel, devait être inauguré  à Tipasa, le 29 avril, la stèle  à la mémoire de Camus gravé par Louis Bénisti. Sur cette pierre romaine était gravée  une phrase de Camus : Je comprends ici ce qu’on appelle gloire, le droit d’aimer sans mesure.4 »

Je suis retourné en 1965 à Orléansville devenue El Asnam après l’Indépendance. Le centre était ouvert et il semblait avoir quelques modestes activités. J’en informais Miquel au cours d’un passage à Paris qui semblait rassuré de l’utilisation de son théâtre.

Monsieur Maurice Besset, spécialiste de l’architecture moderne et ancien conservateur du musée de Grenoble fit une visite en Algérie indépendante uniquement pour voir les œuvres de Miquel et de Simounet 5

En 1980 un nouveau séisme atteignit la plaine du Chelif et devait atteindre Orléansville devenue depuis El Asnam. Et comme pour essayer d’oublier cette catastrophe El Asnam devint alors Chlef. Beaucoup de bâtiments furent détruits, le Centre résista. Louis Miquel aurait voulu revoir l’état de son œuvre, mais il ne put réaliser ce voyage.

J’ai appris récemment que le Centre Camus était devenu le Centre Larbi Tebessi, du nom du fondateur avec le Cheikh Ben Badis, de la société des Oulémas. Je voudrais signaler à ces honorables fonctionnaires qui ont pris la responsabilité de débaptiser le bâtiment, que Albert Camus fut un jour le défenseur d’un ouléma le Cheikh El Okbi, lorsqu’il avait été incarcéré par l’administration coloniale.

            Nous avions perçu au cours de cette réunion d’inauguration à Orléansville qu’une Algérie ouverte et fraternelle était encore possible. Les jours suivants cette journée devaient être de plus en plus noirs.  

Jean-Pierre Bénisti

NOTES :

  1. Voir Roland SIMOUNET : Traces écrites. Pézénas, éditions Domens, 1996
  2. Voir Entretien de Louis Bénisti avec Jean-Pierre Bénisti (inédit)
  3. Voir ; JPB La Khagne du lycée d’Alger  (aricle du mars 2011 sur ce Blog)
  4. Voir Jean-Pierre Bénisti:,  Bénisti, Camus et Tipasa : Actes du colloque de Tipasa, d’Avril 2006  organisé sous la direction d’Afifa Bererhi; Albert Camus et les lettres algériennes, l’espace de l’interdiscours  p. 493-503. Blida, éditions du Tell, 2007
  5. Maurice Besset (1921-2008) historien d’art proche de Le Corbusier auteur  de Nouvelles architectures françaises, Ed ; Niggle et Teufeu, Suisse1968. Voir André Fermigier : Les bâtisseurs clandestins Le Nouvel Observateur, 17 avril 1968. « Les réalisations les plus brillantes de l’architecture française contemporaine  se situent peut-être hors de France, en Afrique du Nord, par exemple (…) où Jean Bossu, Louis Miquel et Roland Simounet, l’Atelier d’Urbanisme et d’architecture, ont construit des édifices sociaux ou culturels tout à fait remarquables. »

 

 

 

 

 



11/03/2012
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