LASNAMIA

Rapport de l'inspection medicale des colonies agricoles de la Ferme,Ponteba et Montenotte


Bonsoir Adel
Voici un fichier word qui est la transcription d'un document conservé aux archives de l'hôpital du val de Grâce (hôpital militaire de Paris). 6 mois après leur arrivé à Ténès le 1er décembre 1848, on trouve une description des colons et des villages de La Ferme, Pontéba et Montenotte, tous les trois en cours d'édification. C'est donc un véritable document historique, vu par un oeil extérieur.
Bien qu'il ne soit jamais question du nom des colons, je sais que mon ancêtre était là, à La Ferme, le plus mauvais des 3 villages.
J'ai été intéressé par le côté "reportage", même si la description des terrains est parfois un peu fastidieuse ; Mais finalement, ça permet aussi de s'imaginer le paysage (on voit presque les ibis noirs nicher à quelque distance du fleuve, quand l'auteur se plait à rêver à l'Egypte avant de redescendre dans la réalité difficile de la région). Les conditions de vie sont décrites avec réalité ; On y croise aussi les arabes. Le terrible choléra - qui débuta à Oran le 4 octobre, deux mois jour pour jour après l'achèvement du rapport, n'avait pas encore ajouté ses ravages au reste (encore, nos villages eurent-ils beaucoup plus de chance que bien d'autres).
A bientôt
VINCENT VIGNAND

Rapport de l'inspection médicale des colonies agricoles de La Ferme, Pontéba et Montenotte

 

Assisté de M. DONSINELLE, chirurgien sous-aide, je suis arrivé à Orléansville le 30 juin [1849]. Nous avons vu le lendemain la colonie de La Ferme, et le surlendemain la colonie de Pontéba. Revenus à Ténès, nous avons arrêté les bases de notre travail et nous sommes repartis pour la colonie de Montenotte le 13 juillet.

Avant de commencer la description de chacun des villages je dirais ce qui, sauf quelques légères exceptions, leur est commun.

À leur arrivée, les colons ont été logés dans des baraques en planches élevées pour eux. Elles sont de forme longue et divisées sous la ligne de faîtage par une cloison élevée jusqu'à hauteur d'homme. D'autres cloisons transversales de même hauteur séparent les chambres de chaque côté. Ces chambres sont allongées dans le sens de la baraque et percées sur la façade d'une fenêtre et d'une porte. Le toit est recouvert en tuiles. Le sol est de la terre battue. Les cuisines sont établies en dehors des baraques. Chaque chambre reçoit une famille ou plusieurs célibataires.

Les principaux inconvénients de ce mode de logements sont : le danger des incendies, l'insuffisance de l'obstacle opposé à la température extérieure, l'ennui de ne pas se sentir chez soi lorsqu'on n'est séparé des voisins que par des cloisons minces et incomplètes, la dégradation du sol que les pas et le balayage ont usé de manière à creuser dans les endroits les moins résistants des trous qui, pendant l'été, retiennent la poussière et les puces et qui, pendant l'hiver, restent toujours humides et boueux ; enfin l'établissement des punaises dans les planches de sapin.

Les colons les plus aisées ont rapporté de France des meubles et des fournitures, et ont acheté sur les lieux les objets nécessaires. Les autres se sont pourvus au moyen de caisses à biscuits, de sacs de campement, de sommiers et de couvertures de laine délivrés par l'administration. Je n'ai pas vu de colons qui fussent obligés de se coucher sur le sol ; ils avaient tous paillasses, matelas, couvertures, draps, lits, table et bancs. On leur a donné aussi des gamelles, des marmites et des bidons de campement ; Ces derniers ont depuis été remplacés par des seaux cerclés en fer et venus d'Alger. Ils ont reçu encore des souliers, des ceintures de flanelle, et des chemises. Les habits ont suffi jusqu'à ce jour mais il devient nécessaire de les remplacer. Les directeurs des villages ont demandé de la toile, des indiennes, des sabots, des souliers ou des babouches pour les femmes et les enfants.

Les maisons sont en partie construites dans les trois villages. Les murs en moellons sont maçonnés avec de la chaux et du sable aux angles, avec de la terre dans les espaces intermédiaires. Ils sont assis sur des fondations de 50 cm de profondeur. Les toits avancent sur les murs. Les tuiles sont posées sur des planches non bouvetées[1]. Des carreaux, des briques posées de champ, ou un bétonnage de pierres cassées et de chaux-vive, forment le sol. Chaque maison est double ; Chaque moitié contient deux chambres également séparées par un mur maçonné dans lequel la porte de communication a été percée et sur lequel la cheminée a été bâtie. Chaque chambre à une croisée sur la rue et une barbacane[2] sur la cour. La croisée est composée de deux fenêtres établies sur un châssis. La barbacane est fermée par un petit volet. La porte d'entrée est au bout de la baraque, près de la rue, et répond à la cheminée. Elle est de même grandeur que la porte de communication, et fermée comme elle par un seul battant. Les dimensions sont pour les chambres à l'intérieur, longueur 20 m, largeur 3 m 50, hauteur 3 m ; pour la croisée, largeur 97 cm, hauteur 1 m 30 ; pour le créneau, hauteur 50 cm, largeur en dedans 40 cm, en dehors 20 cm ; pour la cheminée largeur 80 cm, profondeur 50 cm, hauteur 1 m ou 1 m 50 ; pour les portes, largeur 70 cm, hauteur 2 mètres. Seule la maison du boulanger à un étage.

Il nous a semblé que la toiture laissait à désirer sous le rapport de l'écartement des planches non bouvetées. Il aurait suffi d'une ou deux planches de plus par chambre pour joindre plus exactement le bord, soit par la juxtaposition des deux bords, soit par leur insertion les uns dans les autres au moyen de talons[3] (?) ou de mortaises. Il résulte de l'état actuel, des intervalles assez larges pour admettre le doigt et pour laisser pénétrer la poussière. Les villages, et surtout ceux de La Ferme et de Pontéba, sont situés dans un pays que l'été et l'automne laissent complètement nu. La terre est desséchée à une grande profondeur ; Elle forme, à la surface, une couche épaisse de fine poussière que des vents impétueux soulèvent en tourbillons et font pénétrer par tous les interstices. Les chambres [même] fermées sont envahies à ce point que la respiration y devient pénible. C'est pourquoi je propose, comme une mesure utile à la santé, de réunir par des baguettes les planches déjà posées et de donner dans l'avenir une cooptation (?) plus exacte à cette partie de la toiture. Le pavage en carreaux ou en briques posées de champ paraît être le meilleur ; Le sol de béton n'admet pas un lavage et un nettoyage complet ; Il reste des aspérités et des trous ; la boue ou la poussière s'amassent en quantité plus ou moins grande, de manière à nuire par l'humidité en hiver, et par la nichée des puces en été. La question des puces mérite ici plus de considération qu'en France ; Elles pullulent avec une tout autre fécondité ; Elles empêchent, après des journées chaudes et fatigantes le sommeil réparateur des nuits ; On ne peut entrer dans une chambre quelque peu négligée sans se voir couvert de ces insectes. Il est vrai qu'à Orléansville ils disparaissent depuis le commencement des fortes chaleurs jusqu'aux premières pluies. Mais il est encore utile de s'en préserver avant et après ces deux époques. Des créneaux plus larges admettraient un renouvellement plus complet de l'air de la chambre ; Nous ne craindrions même pas que leur largeur fut assez grande pour établir un fort courant d'air frais entre eux et les croisés : Durant la saison chaude, la température d'un endroit fermé de parois qui s'échauffent, comme une toiture en tuiles, s'élève, se concentre, et jointe à l'humidité devient moins supportable que la température extérieure, même au soleil. Les Arabes qui vivent sous d'épaisses tentes de laine noire ont soin de laisser, entre la terre et le bord de la tente, à la hauteur d'un demi-mètre, un espace circulaire par lequel l'air se renouvelle largement. Ceux d'entre nous qui vivent sous la tente sont également obligés d'en relever les bords durant la chaleur du jour. Il est reconnu qu'un large courant d'air expose beaucoup moins aux douleurs et aux autres suites de refroidissements que ne le fait un courant d'air étroit, un vent-coulis ; [Et] que le courant de l'air échauffé par le soleil à l'ombre ne ressemble pas aux courants d'air froid qui, de l'extérieur, envahisse les lieux chauds pendant l'hiver et dans le nord. J'ai cité l'exemple des tentes arabes, mais je pourrais aussi rappeler les portiques élevés par les anciens et dans lesquels il ne faut pas voir seulement un abri contre le soleil, mais encore la jouissance d'un air vif qu'amène l'appel de l'air refroidi à l'ombre sur l'air échauffé au soleil. Il est enfin d'expérience journalière que l'on sue dans un lieu fermé plus que dans un air souvent renouvelé. Cette proposition n'est point d'ailleurs en contradiction avec ce que j'ai dit précédemment sur le besoin de toitures bien closes. Dans le pays que nous habitons, il est des jours, ceux du sirocco ou du vent d'Ouest par exemple, où il est nécessaire de se renfermer aussi exactement que possible, et d'autres jours ou le renouvellement et l'agitation de l'air doivent être provoqués, lorsqu'avec un soleil ardent, l'air est calme et lourd.

Les portes extérieures des baraques sont formées par un seul battant en minces planches de sapin. Le soleil les dessèche, les déforme et les fausses. Il serait peut-être meilleur de les former de deux battants étroits et épais, comme les portes de cèdre des maisons mauresques, ou de planches étroites et superposées comme des chevrons, ainsi que cela s'est fait dans plusieurs constructions d'Orléansville. Les cheminées paraissent être trop petites pour les besoins de la campagne ; Il serait impossible d'y attacher une crémaillère, d'y prendre un chaudron. À la ferme, on a senti cet inconvénient, mais on ne lui a pas encore trouvé un bon remède ; On les a agrandies dans le sens de la hauteur sans les faire plus profondes ou plus larges. Le manque de profondeur et de largeur est surtout sensible dans celles que l'on a pourvues d'un foyer moyen, de fourneaux latéraux, et de manteaux dis-------, quoiqu'à ne considérer que les besoins d'un ménage de ville à la ville, celles-là soient plus commodes. En outre, presque toutes ses cheminées fument. Je pense qu'en augmentant leur largeur et leur hauteur, elles seraient mieux appropriées aux besoins des cultivateurs, et qu'une profondeur plus grande, un manteau plus saillant, les empêcherait de fumer.

Le plan des maisons comporte quatre chambres pour deux ménages. Dans les trois villages on a laissé vide de l'espace intermédiaire des deux chambres sans cheminées, et bâtit seulement les chambres des extrémités. On a destiné ces maisons d'une seule chambre aux familles de deux personnes, hommes et femmes, ou de deux personnes et d'un enfant d- - - de dou--- - - . Les célibataires resteront dans les baraques jusqu'à ce que de nouvelles allocations de fonds permettent de les loger à leur tour, qui sera le dernier.

Dans les trois villages on a affecté une maison entière à l'infirmerie. Elle se divise en une grande salle qu'une arcade de refends partage en deux parties, et une petite salle séparée par une cloison complète et une porte. La porte d'entrée donne sur le compartiment moyen de la grande salle. La cheminée est dans la petite salle. Les deux compartiments de la grande salle sont destinés aux hommes et aux femmes ; Je crains que la séparation qui doit les mettre chacun chez soi soit insuffisante ; Une cloison est une porte aurait sans doute mieux valu. La cheminée ressemble à toutes les autres ; Elle est trop petite pour préparer à la fois les aliments et des boissons ; Elle donnera pendant la saison chaude, qui est celle des maladies, une chaleur incommode. Il faudra probablement l'établir au dehors, sous un hangar ou sous un abri semblable à ceux qui existent dans les camps devant les baraques et les tentes, avec cette différence qu'ici la cuisine pourrait être établie dans la cour. Trois croisées sont ouvertes du côté de la rue, deux pour la grande salle et une pour la petite. Deux ou quatre créneaux sont percés dans le mur attenant à la cour. Une porte donne sur la rue, et une autre porte, appartenant à la petite salle, sert de communication avec la cour. On se propose d'assigner un infirmier à chaque infirmerie. Il serait avantageux que ce fût une femme car elle pourrait donner ses soins aux deux sexes. Les deux infirmeries de Pontéba et de Montenotte, qui sont les seules construites, n'ont pas encore reçu de malades. Elles seront aussi, à cause de l'éloignement des hôpitaux d'Orléansville et de Ténès, les seules nécessaires. Le nombre des lits peut être restreint à huit. Il suffirait à placer les femmes en couches dont le part serait laborieux, et à recevoir les malades qui, atteints d'accidents graves comme ceux des fièvres de la saison épidémique, devraient être séparés de leurs familles et ne pourraient pas être de suite transportée à l'hôpital, à cause de la nuit, de l'insuffisance momentanée des moyens de transport, ou du besoin d'attendre une amélioration dans l'état du malade avant de lui faire subir les fatigues du voyage. Le matériel nécessaire, lits, pots à tisane, gobelets, marmites, peut être pris dans les lieux ou fournis par l'hôpital voisin et placé sous la surveillance du capitaine directeur ou du docteur. L'infirmerie enfin peut rester fermée avant et après la saison des maladies ; On concilierait ainsi les exigences de l'humanité et celle d'une stricte économie. Les demandes d'instruments ont déjà été faites. Il semble qu'un forceps pour terminer les accouchements difficiles est indispensable. Un spéculum utérin peut aussi être utile pour le diagnostic des maladies des femmes.

Les trois colonies sont situées dans des terrains qui doivent au voisinage de montagnes et de rivières des dispositions communes. Les montagnes, plus ou moins rapprochées forment la vallée du Chéliff[4] au point où sont les deux premières, et celle de l'oued Allala où est la troisième. J'admettrai qu'elles proviennent de soulèvement et que les terres descendues du faite se sont accumulées à la base pour former des plateaux et des collines. Puis, à des époques où peut-être les masses d'eau n'avaient pas [encore] de cours vers la mer, avant le percement des parties rétrécies de la vallée du Chéliff, avant l'ouverture de la grande faille qui forme aujourd'hui la gorge de Ténès, les terres argileuses entraînées de plus haut, ont laissé au fond des lacs successifs des dépôts homogènes dans leur épaisseur et unis à la surface. Ensuite, les ouvertures vers la mer s'étant percées, l'eau à creusé un lit dans la ligne du plus facile écoulement, et aux dépens du dépôt argileux qui a été taillé en berges. Enfin, le fleuve étant, aujourd'hui que le pays n'est plus boisé, moins considérable, des parties de l'ancien lit ont été abandonnées par les eaux, ont reçu un autre dépôt argileux qui, vers le fleuve, se termine aussi par des berges. Les deux dépôts forment comme des segments de cercle situé d'un côté ou l'autre de la rivière, en face d'obstacles rocheux. Ils sont entaillés par la dégradation des berges suivant des lignes semi-circulaires qui représentent une sorte d'anses ou de criques, les seconds ayant un niveau inférieur, et étant composés d'un mélange de sable de rivière et d'argile ; Les seconds ont encore cela de particulier qu'ils sont sujets à être envahis derechef par les grandes eaux : Elles y entrent par un goulet situé en aval, elles pénètrent comme un trop-plein en affectant une direction opposée à celle du cours du fleuve ; Elle déposent une nouvelle couche d'argile ou de sable, et elles sortent quand les eaux ont repris leur niveau habituel ; Pour entrer et pour sortir, elles contournent la base des berges du terrain d'alluvions supérieures ; Elles déposent moins [d'alluvions] dans l'endroit de ce courant que vers les bords du fleuve où se fait un rebord élevé. Je ne sais mieux comparer ces bassins à des diverticulum temporaires.

En supposant ces choses, je puis nommer les terrains qui vont m'occuper. Ce sont 1° les soulèvements rocheux ou montagnes. 2° les détritus amassés à leur base et déposés sous forme de plateaux ou de collines. 3° les premières alluvions argileuses. 4° les alluvions argileuses secondaires. 5° le lit du fleuve formé par des rochers, du sable ou des galets.

Avant de commencer la topographie des villages, j'ai aussi besoin de dire ce que j'entends par Sirocco. C'est un vent chaud et sec, souvent chargé de poussière fine, est venu du sud-est. Cependant, comme cette direction peut être changée par les montagnes, et comme les qualités mêmes du vent peuvent se trouver dans l'air qui a traversé une plaine sèche et aride, dans le vent d'Ouest par exemple à Orléansville et à Montenotte, il faut au sirocco un caractère de plus ; Je le trouve dans un abaissement brusque et considérable du baromètre.

 

Le village de La Ferme est situé sur la rive droite du Chéliff en face d'Orléansville. Il est assis sur l'extrémité, la plus rapprochée du Chéliff, d'une langue de terre qui forme une pente douce et un terrain plat à partir des collines rouges, un petit plateau légèrement incliné au sud-est et à l'est. Il est circonscrit à l'Ouest par une berge qui suit d'abord la route d'Orléansville au pied des collines et qui fait ensuite un détour au sud en prenant la gauche de cette route, à l'endroit où elle descend pour arriver au niveau du pont. Les anciens jardins et le puits commencé de La Ferme sont disposés par étage à l'extrémité de ce secteur ; au Sud par la berge escarpée du Chéliff ; au Nord par les pentes des collines rouges ; à l'Est par une seconde berge disposée en anses et rentrant vers les collines rouges dont elle suit le coude jusqu'au bord du Chéliff.

C'est partout une terre d'alluvions argileuses, compacte et homogène jusqu'à une profondeur de 24 à 25 m qui est celle du lit du Chéliff. Là, commence une couche de galets et de sable de rivière après laquelle viennent les infiltrations du fleuve. On peut juger de cette disposition par l'inspection des berges et par celle du puits. Durant les chaleurs de l'été, cette terre se fend jusqu'à une grande profondeur. Durant les pluies d'hivers, les fentes se remplissent d'eau, et les plus rapprochées des berges arrivent à se détacher en énormes plaques, [qui] tombent avec fracas après les premières pluies. Ces éboulements ont plusieurs fois surpris des malheureux qui se reposaient à l'ombre des berges ; Ils sont la cause évidente de leur formation ; Ils sont plus fréquents [sur] la berge qui donne immédiatement sur le Chéliff et [sur] la berge Est, parce que le Chéliff érode et amincit la base de ces plaques de terre fendues par des alternatives de sécheresse et de chaleur. Le terrain s'étend en aval du fleuve au-dessous de la berge où est forme un deuxième plan d'alluvions, argileux comme le premier, et terminé comme lui par une berge. On a essayé de le planter d'arbres, on y a creusé un puits à roue, construit un vaste bassin d'irrigation, et dessiné des allées circulaires et concentriques ; On lui a donné le nom d'hippodrome. Le terrain qui s'étend en amont du fleuve au-dessous de la berge est formé par un demi-cercle moins grand ; Il a un niveau inférieur à celui de l'hippodrome ; Il consiste en terres argileuses mêlées de sable ; Il se termine par une berge moins élevée qui se termine également par un banc de sable après lequel on arrive à l'eau ; Ce terrain est traversé par les sentiers que suivent les oueds grossis pour aller à l'eau ; On y a établi les jardins n°2 de La Ferme. Voici donc par ordre de superposition les terrains de La Ferme : 1° au point le plus élevé, une alluvion argileuse ancienne qui s'étend jusqu'aux collines rouges et qui, à l'est et à l'ouest, se prolonge au pied de ces collines. 2° les terrains de l'hippodrome et les jardins n°2, alluvions plus récentes et mêlées de sable à la surface. 3° les bancs de sable qui s'étendent vers le Chéliff au pied de l'hippodrome et des jardins n°2. Avant notre occupation, le terrain supérieur était cultivé en orge et en blé. On n'y voyait aucun arbre ou arbuste, excepté quelques bouquets de cactus dans les ravins les plus profonds des collines rouges. Il n'y reste encore que le peu d'ormeaux ou de mûriers qui ont survécu à nos plantations[5]. On n'y voyait aucune source et des deux puits que nous avons creusés, l'un a disparu dans un éboulement de la berge, et l'autre n'est pas encore arrivé jusqu'à l'eau. Toute la surface est, à cette époque de l'année, sèche et nue ; Le pied enfonce dans une couche profonde de poussière partout où il n'y a pas de végétation et lorsqu'une trace de végétation se rencontre ce n'est qu'avec une teinte jaune sur la face grise de la terre. Le second terrain était abandonné aux broussailles et aux herbes folles ; Celui des jardins, surtout, est chaque année envahi par les eaux du Chéliff ; Elles entrent à l'angle des berges Sud et Est, elles remontent par une sorte de reflux et contournent la berge Est ; Elles sortent par la même voie quand le fleuve rentre dans son lit. Le troisième terrain, formé de sable et de galets, plus longtemps recouvert, plus violemment balayées par le fleuve, n'est propre à aucune culture.

Que le premier terrain donne lieu à des effluves marécageuses, c'est ce que rendent probable sa nature argileuse et les fentes qui le divisent à une grande profondeur ; c'est ce que prouve le plus grand nombre de fièvres d'intoxication qui a toujours été observée à La Ferme. Sous ce rapport, elle est plus mal partagée Orléansville. Ce dernier endroit, quoique situé à peu près à la même hauteur et placé entre deux rivières, le Chéliff et le Tsigaout, est beaucoup moins exposé aux fièvres et surtout aux fièvres de mauvaises natures. Je l'attribue à ce que le sol d'Orléansville est formé par un terrain primitif, par de la terre rouge que l'on trouve partout au-dessous des décombres de l'ancienne ville [romaine].

Le vent dominant dans la saison chaude est le vent d'Ouest ; Il commence à souffler dans l'après-midi ;  il arrive échauffé par l'action des rayons solaires sur la plaine encaissée, nue et poudreuse du Chéliff. Généralement pris pour du Sirocco, il vient avec impétuosité soulever les épaisses couches de poussière d'une terre meuble et desséché. Il porte en amont du Chéliff et, après avoir rencontré l'obstacle du rétrécissement de la vallée au-dessus de la prairie, il revient sur lui même en sens contraire et forme des tourbillons. Le [vent du] Nord-est souffle aussi mais rarement dans cette saison ; Il rafraîchit l'atmosphère et pourrait être nommé la brise d'Orléansville ; En hiver il annonce les pluies. En hiver aussi, le vent du Sud est froid et sec ; il amène les beaux jours.

Un refroidissement sensible et la rosée pendant la nuit sont rares ; Ils ne se rencontrent guère qu'à la fin de la saison des pluies dans les bonnes années. Sous ce rapport l'année courante [1849] a été mauvaise : Il est tombé peu de pluie durant l'hiver et le printemps a été sec et chaud ; Les vents chauds ont soufflé de bonne heure ; Après avoir fait manquer presque entièrement la récolte de foin, et porté un préjudice notable à la récolte d'orge de blé, ils ont amené de l'Ouest, dans ces derniers jours, des nuages de sauterelles. Elles ont couvert la terre à une hauteur de plusieurs pouces et dévoré tout ce qui se trouvait sur leur passage : les feuilles des jeunes pousses dans les jardins, l'écorce des rameaux, et souvent celle de la tige. Dans un cercle au-dessus des terres, les feuilles de cactus nouvellement plantés, les feuilles des roseaux, la tête des betteraves, ont été désastreusement rongés. Les sauterelles se sont cependant retirées quelques jours après et ont repris leurs vols vers l'Est. Un assez grand nombre, cependant, à laissé partir la masse et s'est mêlé aux espèces sédentaires du pays ; Elles sont plus petites de moitié que les sauterelles que j'ai vues à Alger en 1845 ; Elles sont d'ailleurs jaune, pourvues de deux paires d'ailes, dont l'inférieure est colorée en rose vif dans sa moitié interne. Outre celles-là, j'ai vu une sauterelle, jaune encore, mais aussi grande que la sauterelle vue à Alger ; Elle n'avait que des rudiments d'ailes ; J'ai supposé qu'elle avait été laissée dans le pays par cette espèce qui est venue autrefois et qui y a déposé les œufs de ces fœtus. Elles se rencontrent également dans les vallées de l'oued Ouabran et de l'oued Allala sur la route de Ténès, et jusqu'à Montenotte.

J'avoue que ces données : un terrain d'alluvions, les maladies provenant de ce terrain et observées durant un séjour de trois ans à Orléansville, l'absence complète de sources d'eau et de végétation arborescente, la chaleur répercutée par les montagnes et amenée par le vent d'Ouest, [ainsi que] la nudité complète du pays, ne m'auraient pas engagé à choisir ce lieu pour un premier essai de colonisation. Il me semblait qu'une [simple] ferme était tout ce qu'il fallait pour exploiter les foins et les céréales abondantes dans les bonnes années. D'ailleurs, l'expérience, sous le rapport sanitaire, va bientôt commencer : Si les résultats sont défavorables, on sera maître d'arrêter la construction du village. Il semble que cette expérience ait déjà été acquise aux premiers habitants du pays, car, pour les Arabes, on ne commence à trouver des établissements sédentaires que sur les pentes du Dahra vers la plaine, au village des Medjadja ; Et les établissements mobiles ne sont pas plus rapprochés que les ravins des collines rouges vers le Chéliff, ou même les terrains supérieurs entre les collines rouges et la rivière de sable, et vers l'Est. Quant aux Romains, on ne trouve aucune ruine qui provienne d'eux hors de ces mêmes limites. Les deux villages arabes qui ont été construits par les soins du chef du bureau arabe d'Orléansville sur la route de Ténès, à Aïn Tremblia et aux Bassin, sont aussi des termes de comparaison défavorables aux deux villages français de La Ferme et de Pontéba.

Le village de La Ferme sera un parallélogramme allongé, disposé dans le sens de la langue de terre qui le supporte, dans la direction des collines rouges au Chéliff, du Nord au Sud ; son sol uni est légèrement incliné, étant tourné vers le sud et vers l'est. L'angle Sud-ouest est déjà occupé par les anciens bâtiments de la ferme [militaire][6]. Le reste de l'espace sera rempli par 11 îles[7] que sépareront une place centrale, deux rues longitudinales, et trois rues transversales. Chaque île renfermera quatre maisons ou huit ménages ; les maisons seront tournées vers les rues et les cours étendues entre elles sur les lignes des façades et dans l'espace intérieur. Une seule île, celle qui est au nord de la place, n'aura que trois maisons. Deux îles à l'Est et l'Ouest de la place auront six maisons. Les maisons seront ouvertes pour la plupart à l'Est et à l'Ouest. Il n'en faut excepter que celles qui, placées perpendiculairement aux premières, seront ouvertes au Sud ou au Nord. Le tout sera fermé par un large fossé d'enceinte, avec relèvement à l'intérieur ; Il est déjà commencé à l'angle Nord-est. Vingt-et-une maisons sont déjà construites parmi lesquelles deux seulement ne sont composées que des chambres externes. Elles occupent toutes, excepté une, les six îles intérieures du parallélogramme, et forment un carré équilatéral. On a pu démolir une des baraques [provisoires] et on s'est empressé d'élargir la place assignée à chaque ménage dans les deux autres baraques : On a enlevé la cloison qui suivait la ligne du faîtage. Il est seulement à désirer que les chambres occupées dans les maisons soient achevées le plus promptement possible ; J'en ai vu une dont le toit n'avait de tuiles que d'un côté, et dont une porte et le volet du créneau manquait.

Pour décrire la première installation des colons [il y a 6 mois] et ce qui en reste encore aujourd'hui, il est nécessaire de dire quels étaient les anciens bâtiments de la ferme [militaire]. Ils formaient un parallélogramme dans l'angle Sud-ouest du grand parallélogramme du village. Le sol est légèrement incliné au Sud et l'Ouest. Le côté Ouest, borné par les escarpements qui dominent la route, renferment les logements de maître à cinq chambres, dont deux sont employés pour les bureaux et pour le logement d'un sous-officier, deux pour le logement du capitaine directeur, et une pour la pharmacie. Une allée sépare les logements du capitaine et les bureaux ; Elle se termine par une sorte de galerie ouverte à l'Ouest et conduisant à la pharmacie. Les murs extérieurs et les principaux murs de séparation de ce bâtiment sont maçonnés ; Le toit est recouvert en tuiles ; Il y a une cheminée dans la chambre du capitaine ; Les croisées sont ouvertes à l'Est, à l'Ouest et au Sud ; On peut jouir de l'air extérieur le matin sur la galerie, et le soir sous un abri de feuillage établi devant la porte. Au-delà, vers le Sud et sur la même ligne, sont deux chambres construites en planches et séparées par une allée ; Elles ont chacune une croisée ouverte à l'Est et n'ont pas de cheminée ; Le toit est recouvert en tuiles. Le côté Nord est entièrement occupé par les anciennes écuries de la ferme [militaire] : long bâtiment composé de mur d'appui, de montants de madriers et d'un toit recouvert en tuiles et disposé en pente au sud ; Le sol est pavé en galets ; On a cloué des planches imbriquées sur les madriers, on les a percées de portes et de fenêtres ouvertes au Sud, établi des cloisons transversales de distance en distance, recouvert les pavés avec de la terre battue ; Ce bâtiment ainsi arrangé a servi à loger les célibataires ; ils sont deux dans chaque chambre. Du côté Est, est une grange maçonnée ouverte à l'Ouest et recouverte en tuiles ; Elle sert encore à l'administration ; Le côté Sud longe l'étage supérieur des anciens jardins qui descendent jusqu'à la berge du Chéliff. Le puits creusé dans le haut du jardin est profond de 16 à 18 m ; Il arrive jusqu'à la couche de galets ; Il est à sec depuis deux mois ; On le creusera jusqu'à 20 m. La porte d'entrée est à l'angle Sud-ouest, entre les jardins et une porcherie. Deux baraques en planches ont été élevées à l'Est et au Sud de la grange pour loger les colons. Une troisième a été élevée à l'Ouest pour les cuisines ; Celle-ci est ouverte sur les côtés ; Une double rangée de fourneaux adossés suit la ligne de faîtage ; Ils sont à hauteur d'appui et partent du sol ; Ils sont construits en briques. La baraque Sud est à moitié démolie. Dans la baraque qui reste, les chambres avaient, avant l'enlèvement des cloisons longitudinales, six mètres de long, cinq de large, une porte et une croisée. Une étable construite en madriers, planches, [et] clayonnage de feuilles mortes, à l'Est de la grange, renferme les chevaux et le bétail. Les chevaux, les bœufs et les brebis sont séparées ; L'étable étant ouvertes sur les côtés, un mur en terre a été élevé à l'ouest pour mettre [les animaux] à l'abri du soleil de l'après-midi.

On cherche l'eau au Chéliff ; On n'y va faire les blanchissages. Je n'ai pas vu qu'on se servait des bêtes de somme pour apporter l'eau ; Je n'ai aperçu dans tout le village qu'un seul âne ; Il était destiné à promener les enfants. J'estime qu'il est urgent d'achever le puits commencé et d'établir dans les environs un bassin et un lavoir. La boulangerie est construite, mais elle n'est pas occupée. La boucherie et en construction ; Il n'existe pas d'abattoirs. La forge et la maison du charron ne sont pas faites. Un cantinier avec sa femme, deux enfants et un aide, donne à manger et tient pension ; Il vend du vin et des liqueurs telles qu'absinthe, vermouth, anisette, [et] eau de vie ; Le vin est plat[8] et passé ; Les liqueurs sont mêlées d'eau et fort peu aromatiques. Un café [existe] dans une baraque de la ferme, à l'extrémité Ouest des écuries : Un auvent et une première salle avec des tables, une seconde salle où sont les comptoirs et les étagères, une troisième où couchent l'homme et la femme, une soupente au-dessus des femmes (?) servant (?) du magasin ; Mêmes liqueurs que ci-dessus ; Deux colons sont attablés ; Je crois que [avant l'arrivée des colons] ce café était la cantine de la ferme [militaire]. Un épicier et sa femme, dans une maison, vendent sucre, cafés et autres menus denrées, vin et quelques liqueurs ; Le tout est acheté à Orléansville.

Je n'ai vu d'ordure nulle part ; Cependant il n'existe pas de latrines publiques. Les ordures sont déposées dans des pots et dispersées au-dehors. Il est urgent d'établir des latrines publiques.

Les enfants vont à l'école à Orléansville. Les colons qui vont aussi ------------ (illisible).

Les colons ont reçu dix centimes par jour et par personne. Jusqu'au 10 février, on leur a donné des couvertures de campement, des saco---------- [sacs de couchage ?], pour dormir des paillasses et des sommiers de campements : Les paillasses ont été garnies de foin ou de paille longue. Des meubles avaient été apportés de France ou bien ont été achetés à Orléansville. Des cadres, pris dans l'ancien mobilier de la ferme [militaire], ont été donnés à ceux qui n'avaient pas de lit, [ainsi que] des bidons remplacés depuis par des seaux en bois, des gamelles, des marmites. Des bordelaises[9] données par l'administration et sciées en deux ont servi de baquets. On a distribué 1/3[10] de litre de lait aux enfants au-dessous de deux ans ; Aujourd'hui, une vache est affectée à chaque enfant ; Les colons viennent eux même les traire ; Ils ont encore la ressource de 25 chèvres qui sont leur propriété. On donne la demi-ration jusqu'à l'âge de 10 ans. Le vin, le pain et la viande sont distribué par l'administration ; Le pain est mêlé à une forte proportion de farine avariée ; Il manque de saveur [et] n'est pas bien levé. Le troupeau, composé de chèvres, brebis, moutons et vaches, est conduit par des soldats ; En tout 12 vaches laitières, 25 chèvres, 12 à 15 grosses bêtes, des bœufs de labour, des agneaux. Les chèvres et les agneaux sont la propriété des colons. Un troupeau de porc est conduit par des soldats et parqué à l'entrée de La Ferme.

Un détachement de colons ira, dans quelques jours, à la forêt, à 6 ou 7 lieux d'Orléansville, au pied de la Tandraras, faire du bois et du charbon. Le bois consommé jusqu'à ce jour provient d'une expédition semblable.

Les Arabes ont fait les travaux de semailles et des labours par corvées ou touïzars. La récolte a été faite en commun par les colons et sera partagée en commun. Elle a été de deux fois la semence pour le blé, et de deux-tiers de moins pour l'orge. Le blé et l'orge sont déposés sur des espaces circulaires pour être dépiqués[11] par les chevaux. Il a été récolté 400 quintaux de foin ; Il est amassé en meules. De plus, les colons ont fait des arrosages de terrassement et de carrière pour le génie. Quelques maçons[12] appartenant à la Colonie ont bâtis la valeur de quatre maisons complètes. Trois ou quatre tailleurs font ou raccommodent les habits. Des cordonniers travaillent aux chaussures d'hommes. On a payé un marché pour des [linges] blancs, des indiennes, des robes, des babouches de femmes et d'enfants. Toutes les professions se trouvent dans la colonie, excepté les professions de forgeron, charron et tuilier. La deuxième zone des concessions vient d'être faite.

Les anciens jardins, aujourd'hui nus et pulvérulents, ont assez bien rapporté au printemps ; [malheureusement] les aubergines et les tomates ont été mangées par les sauterelles ou [ont été] défectueuses. Dans les jardins n°2, les semailles ont été tardives, la terre n'a pas été préparée. Le fumier a été répandu en petite quantité. Les haricots, semés trop tôt ont été gelés, semés trop tard séchés en fleur ; Les petit-pois ont réussi ; On a quelques lentilles, quelques betteraves ; Les navets sont mal venus. On n'a fait de réserve que de petit-pois, et encore en petite quantité.

Les colons ont creusé deux puits dans les jardins du bas Chéliff ; Ils sont profonds de 4 ou 5 mètres ; Le terrain est creusé circulairement, en entonnoir ; Trois bordelaises superposées forment un canal au fond de l'inton (?) au décours (?) d'un chemin circulaire. Des plantations de mûriers, de cactus, d'aloès, ont été rongées par les sauterelles.

Le service de santé a été fait en premier lieu par Messieurs les chirurgiens sous-aides de l'hôpital d'Orléansville ; Ils le prenaient à tour de rôle, chacun pendant un mois. Il a été fait ensuite par M. BARADOUX, chirurgien aide-major au 16ème régiment de ligne, puis par Messieurs les sous-aides de l'hôpital, de nouveau ; Plus tard par M. LEURET, chirurgien-major au 16ème ; Il est aujourd'hui confié à M. VIGIER, chirurgien aide-major au même régiment ; Il le fait depuis 8 jours. Des mutations aussi fréquentes ne permettent pas de suivre, dans ses progrès, l'acclimatation des colons ; Ils n'admettent pas, quel que soit le zèle et l'instruction de chacun, qu'il puisse se former une méthode générale de traitement : Une chose peu suivie n'est jamais prise à cœur ; L'entreprise qui est faite la veille et laissée le lendemain ne peut pas être poursuivie avec vigueur. Il est [donc] fort à désirer qu'une seule personne soit attachée définitivement et spécialement à ce service, comme il a été fait pour les villages de Pontéba et de Montenotte. Pour ce qui parait le sujet des observations les plus faciles de notre inspection, l'inconvénient de cette méthode était visible : Le registre d'inscription des malades n'est qu'un cahier de quelques feuilles : Il ne renferme pas les renseignements prescrits [et] il n'a pas été possible d'en tirer un état plus circonstancié que celui que j'envoie. Il n'existe aucun local pour les consultations du médecin ; Les médicaments qui composent l'approvisionnement de la pharmacie sont en partie posés sur le sol ; J'ai recommandé qu'on établît des étagères pour les mettre à l'abris de la poussière et pour les ranger dans un ordre facile, qu'on affectât une chambre pour les consultations, qu'on établît un registre durable et régulier, qu'on fît une revue de tous les individus à vacciner et qu'on répandît les bienfaits de cette opération qui n'a encore été pratiquée que sur cinq personnes. Il sera probablement inutile d'établir une infirmerie [permanente à La Ferme] ; On continuera de porter sur des civières, à l'hôpital voisin d'Orléansville, tous les malades qu'il ne sera pas possible de traiter à la chambre. J'ai suivi M. VIGIER dans sa visite habituelle des malades à leur domicile. J'ai vu : des douleurs à la jambe gauche, à la suite de fièvres et d'oedematies, sur un ancien cultivateur qui garde le lit ; [des] diarrhées à la suite de couches faites depuis deux mois ; [une] Ophtalmie palpébrale chez une femme dans une famille qui toute entière garde la chambre, la mère a eue quelques ans (?) la fièvre et a aujourd'hui une ophtalmie palpébrale double [tandis que] le père et deux petites filles ont aussi des ophtalmies ; [Une] plaie calleuse à la cheville chez un ancien cordonnier. Il est mort un homme, une femme et cinq enfants. L'homme avait 54 ans ; C'était un carrier adonné à l'ivrognerie ; Pendant une forte ivresse (?) il a été pris d'une pneumonie double à laquelle il a succombé à l'hôpital [d'Orléansville] dans les 3 jours de l'invasion[13]. Il était entré à l'hôpital, 21 hommes, 10 femmes, 2 enfants au-dessous de 2 ans. Il avait été traité à la colonie 70 hommes, 44 femmes, 19 enfants de 2 à 10 ans, et 8 enfants au-dessous de 2 ans. Il y a eu quatre naissances. L'effectif [des colons] à l'arrivée[14] était de 100 hommes, 52 femmes, 8 garçons et 17 filles de 2 à 10 ans, 10 enfants au-dessous de 2 ans ; [soit] en tout 187 [individus]. Il reste au 1er juillet [1849] 80 hommes, 47 femmes, 8 garçons et 16 filles de 2 à 10 ans, 8 enfants au-dessous de 2 ans ; [Soit] en tout 159 [individus]. Je me suis informé des causes de départ : 1 homme est allé rejoindre sa femme rentrée en France ; Une famille, homme, femme et enfants, est partie parce que la santé de ses membres était délabrée, parce qu'ils étaient inaptes à l'agriculture et parce que l'homme avait appris que son ancienne place de garçon tapissier lui avait été réservée ; Deux autres familles de 2 personnes [sont] parties pour rejoindre la ferme [dans leur village d'origine en France] ; 1 homme [est parti] pour cause de vieillesse et d'incapacité au travail ; 1 homme pour inaptitude et mauvaise santé ; 5 ouvriers d'art, parce qu'ils n'avaient plus de travaux à faire ; 1 homme pour prévenir son expulsion qu'une mauvaise conduite habituelle devait programmer ; 2 vieillardes [parce qu'elles étaient] inaccoutumées aux travaux de l'agriculture ; 1 garçon limonadier pour reprendre son habitude de faire quatre repas ; 1 homme avec sa mère, une vieille amie et un petit garçon pour s'établir à Montenotte[15] ; [enfin,] 1 homme [a été] conduit à Alger pour être jugé sur les faits de menaces et de guet-apens contre M. le Capitaine Directeur. Il reste encore 27 célibataires ; Ce sont les colons les moins bien installés et qui paraissent éprouver la plus forte misère.

 

La colonie agricole de Pontéba est située sur la rive gauche du Chéliff, au milieu d'une vaste prairie. Cette prairie, qu'il faut décrire pour comprendre la position du village, est située au pied d'un prolongement de l'Ouarsenis. Au-dessus du marché arabe d'Orléansville, s'élève une sorte de pic dont le côté tranchant regarde le nord-ouest et dont la base sert de point de départ pour plusieurs ravins profonds dirigés au Nord-est, pour plusieurs côtes en dos-d'âne qui se terminent à l'Est du marché et à la prairie par des mamelons. Ce sont des crêtes calcaires formées de couches horizontales ; La surface est recouverte de pierres roulantes ; Les bancs de calcaire, rapprochés de la surface, percent presque partout le sol. La plupart des carrières qui servent aux constructions d'Orléansville y sont établies. Ce n'est qu'au voisinage de la prairie que le fond des ravins et les côtes s'élargissent et se recouvrent d'une couche de terre suffisante pour les besoins de la végétation.

Dans sa longueur, la prairie s'étend entre ces prolongements montueux et le Chéliff. Dans sa largeur, elle commence à vingt minutes d'Orléansville, un peu plus loin que le ravin de l'oasis ou jardin d'essai, après un détour que le Chéliff fait au pied des collines rouges qui, dans cet endroit, arrivent jusque sur ses bords. Elle s'étend ensuite entre les mamelons de l'Ouarsenis et le Chéliff. Dans une longueur d'une heure et quart[16], elle décrit d'abord une corne autour de ces mamelons, jusqu'à un enfoncement demi-circulaire qu'ils présentent et qui correspond à la fois à la courbe du Chéliff, pour le détour susdit, et à une anse des berges. C'est à ce point qu'elle est la plus large. Elle forme ensuite, entre les collines et le Chéliff, un parallélogramme allongé jusqu'à un prolongement de [ces collines] vers le fleuve. Elle en fait le tour et se termine par un espace demi-circulaire étendu au pied de la montagne, qui est ici plus abrupte et qui, au-delà, se prolonge jusqu'au bord du fleuve dans un endroit rétréci où le rapprochement des collines rouges ferme la vallée ; [Ce rétrécissement] peut être pris pour le point de son origine, telle qu'elle existe à la hauteur d'Orléansville. [La prairie] a ainsi la forme d'un segment de cercle dont la corne supérieure serait fortement entaillée et dont la corne inférieure serait recourbée en dehors du cercle. Elle s'étend, comme le fleuve, de l'Est à l'Ouest. Elle est bornée au sud par les collines descendues du prolongement de l'Ouarsenis, et au Nord par le Chéliff. Dans son étendue, les rives du Chéliff sont mamelonnées et abruptes à droite et au nord, taillées en hautes berges à gauche et au Sud. Et, comme, à l'endroit de la crique en anse, il existe deux plans d'alluvions superposés, il y a aussi deux berges, hautes l'une de 11 et l'autre de 5 mètres.

Les collines du prolongement de l'Ouarsenis sont d'abord disposées en une ligne continue, puis entaillées par une large échancrure dans laquelle se terminent plusieurs ravins, ensuite divisées en cinq mamelons principaux séparés par des ravins profonds. Enfin, disposées en un mur demi-circulaire sur la pente duquel la route de Miliana circule comme sur une corniche. La route qui, d'Orléansville, conduit au village, traverse, à partir de l'oasis, les collines jusqu'au premier tiers de la grande citronnerai[17] ; Elle coupe ensuite obliquement la prairie, en marchant entre les lignes fermées par les deux autres tiers de l'échancrure, et les deux tiers supérieurs de la berge de la crique. Elle rencontre le village à l'endroit où descend le sentier que suivent les arabes des collines pour aller faire de l'eau.

La prairie forme d'abord une surface égale, unie et de plain-pied. Elle a cependant des pentes que rend sensible le séjour des eaux dans la saison des pluies ; Elles s'amassent alors et forment une espèce de marais entre les collines et le village de Pontéba. Sa plus grande pente est de l'Ouest à l'Est en suivant le pied de la colline ; On l'a utilisée pour conduire les eaux dans un trou qui a servi aux travaux de construction du village ; [Les eaux] formaient un ruisseau qui suivait ce cours jusqu'au milieu, à peu près ; Du pied de la colline, il a été dirigé dans un fossé creusé presque perpendiculairement à cette direction, sur le village, en obliquant du Sud-ouest. Ce fossé conserve longtemps une profondeur d'un pied, un pied et demi ; Puis il arrive rapidement à celle d'un mètre et quart qu'il a à sa terminaison [laquelle] est aujourd'hui le fossé d'enceinte [du village], près de la porte, au milieu de la face Sud, au-delà du premier tiers Ouest. Le fossé a environ deux mètres et demi de profondeur et en longueur ; Il a deux directions faisant angle à l'Est de la porte : la première est perpendiculaire au Nord et la deuxième au Nord-ouest. Quand les pluies reviendront, l'eau amenée par le ruisseau et le fossé de conduite remplira le fossé d'enceinte ; Il faudra lui trouver un écoulement en creusant dans le point le plus déclive de la prairie, dans la direction du sentier de l'eau. En attendant, ce marais est le point le plus bas ; L'eau y est amenée par deux pentes générales : la plus forte partie du Sud-ouest et l'autre du Sud-est. Elle est retenue par la disposition générale du sol de la prairie, relevé au bord de la berge. [En cette saison,] l'eau a disparu mais elle a été cause d'une récolte abondante de foin dans cet endroit [de la prairie] et il reste encore assez d'humidité pour donner à la terre un aspect moins pulvérulent et une couleur plus foncée que dans le reste de la prairie.

Il n'existe aucune source d'eau ni dans cette prairie ni dans la montagne voisine ; Les ravines n'y amassent que des eaux pluviales. Les Arabes des collines viennent chercher l'eau dans le Chéliff ; Ils viennent sur ses bords faire leurs prières et leurs ablutions. Les colons, sans autre avantage que d'être plus rapprochés, feront la même (?) s'être (?) [font la même chose et] ne creusent pas de puits.

La disposition du terrain de la prairie ressemblerait à celle du terrain de la Ferme si ce n'était le relèvement de la berge du Chéliff qui arrête le cours des eaux, l'élévation plus grande et la surface plus considérable des collines qui la dominent, la différence d'une surface longue appliquée entre les collines ou (?) séparée d'elles à angle droit. D'ailleurs, le terrain est le même [et] il a la même profondeur. Il faudra [donc] creuser jusqu'à 25 mètres le puits central du village. Mais le séjour de l'eau dans le sol change complètement l'aspect de la prairie : en hivers, du moins, elle reverdit sur tous les points ; Elle est au printemps recouverte de hautes herbes parmi lesquelles se trouvent des fourrages excellents. Dès l'occupation d'Orléansville, l'administration s'est occupée de mettre en valeur ces avantages naturels[18] ; Les herbes folles ont été arrachées pendant plusieurs années avant la fructification. On a employé, aussi, une partie de la garnison à arracher les racines de jujubier qui, partout, avaient pris possession du sol ; L'arbre, étant ravagé par le feu et par la dent des bestiaux, la tige rabougrie ne formait plus qu'un buisson épineux et les racines prenaient un développement disproportionné. On avait l'avantage de défricher le sol et de fournir en bois de chauffage la garnison d'Orléansville. L'abondance du bois retiré de ce terrain aride lui avait fait donner le nom de « forêt souterraine »[19]. Le génie avait même fait un essai infructueux pour amener les eaux du Chéliff sur la prairie et à Orléansville ; Il avait ensuite formé le projet d'un barrage plus éloigné et plus dispendieux. En y regardant d'un certain point de vue, ces  idées avantageuses paraissaient justes : L'eau du Chéliff est excellente, légère, limpide, et, comme les eaux du Nil, douée d'un reflet bleu pendant la belle saison ; [Puis,] elle est après les pluies, trouble, épaisse et dépose facilement une épaisse couche de limon. Ses berges élevées, [sont] disposées à être entrainées dans le fleuve et propres à fertiliser le sol ; Les terrains d'alluvion et plats dans lesquels elles sont taillées, l'élargissement de la vallée au-dessous d'Orléansville, et jusqu'à la présence de troupes d'ibis noirs dans les rochers du voisinage, tout semble favoriser de pareilles réminiscences [nilotiques] et tend à faire reconnaitre dans ces alluvions une sorte de terre d'Egypte. Mais après le premier mois d'été, on reconnait qu'il faut remettre les chances de réalisation [d'une nouvelle Egypte] à une autre époque, lorsque les travaux nécessaires pour aménager et irriguer auront été faits ; Et que, jusque là, on aura tous les inconvénients sans aucun des avantages des terres d'alluvion. Au milieu de montagnes arides, sur les bords ravagés d'un fleuve rentré dans le plus profond et le plus étroit de son lit, on ne voit plus [en été] qu'une terre pulvérulente ; Le vent d'Ouest soulève des tourbillons de poussières qui font fermer les yeux [et] qui arrêtent la respiration ; Il amène d'ailleurs un air échauffé par son passage sur la plaine aride. Une violente insolation sans abris, et le dessèchement [en été], des inondations de l'hiver [= en hiver], déterminent des fièvres d'autant plus dangereuses que le corps est déjà fatigué par la continuité des chaleurs et par les énormes quantités d'eau bues pour apaiser la soif. Il faut bien que ces inconvénients aient été reconnus des premiers habitants [du pays !]. [De fait,] il n'existe aucune trace d'habitation arabe dans la prairie ; Malgré leur paresse les Arabes se sont logés loin de l'eau, dans les ravins les plus élevés et les mieux abrités des montagnes qui dominent la prairie. Les ruines romaines se rencontrent plus près [du Chéliff], mais encore sur les mamelons ; On a trouvé des moulins pour les grains et pour l'huile, des seuils de maisons, des poteries, des monnaies, des auges sépulcrales, des pierres taillées à l'oasis, [ainsi que] sur le mamelon qui va de l'oasis à la prairie, sur un mamelon qui se fait aujourd'hui remarquer par un Marabout et qui se trouve au second tiers de la prairie, sur le prolongement montueux qui isole la dernière section de la prairie. J'estime qu'il aurait été prudent de profiter de ces errements (?) [éléments ?], d'établir le village dans un de ces endroits, [et] de ne faire [par exemple] qu'une ferme d'exploitation ou même un camp mobile sur son emplacement actuel, [mais précisément] quelque chose de temporaire comme le camp des faucheurs établis jadis[20] sur les même lieux et levé tous les ans après la récolte. Il est vrai qu'il aurait fallu creuser des puits ; Mais le village n'est-il pas encore [= pourtant] assez éloigné du Chéliff pour qu'il soit [également] nécessaire d'y creuser un puits. Des constructions étant déjà faites, il serait peut-être sage d'achever les maisons commencées, de procurer aux eaux du marécage un écoulement facile, d'achever le puits, et de chercher un meilleur endroit pour y établir le centre de population.

Les baraques provisoires sont à l'Ouest du sentier de l'eau, sur le bord de la première berge, à l'endroit même où étaient dressées autrefois[21] les tentes du camp des faucheurs. Elles sont au nombre de trois et disposées en triangles. L'une est parallèle au Chéliff, une autre aux collines, la troisième au sentier. En dehors, et vers les trois angles, sont trois hangars pour les cuisines, et, entre la baraque parallèle au Chéliff et la berge [se trouve] le hangar de l'étable. Les ouvertures des baraques Nord et Sud-ouest sont tournées vers l'intérieur des triangles ; La troisième est disposée et distribuée comme les baraques de La Ferme. Le toit des cuisines n'a qu'une pente et est supporté par trois fermes[22]. On a creusé le sol à un mètre ; On a encore abrité les fourneaux par un rebord demi-circulaire en terre, pour les mettre à l'abri du vent. J'ai remarqué que les célibataires avaient, dans leur baraque sur le bord de la berge, enlevé les planches[23] à la hauteur des lits pour se donner un peu d'air ; Ils m'ont assurés qu'ils les remettaient en place pendant la nuit. Ils sont répartis au nombre de sept par chambre. Dans l'étable, les brebis et les chèvres occupent un compartiment moindre et transversal à l'extrémité Ouest, où le sol est formé par une épaisse couche d'épines recouvertes de paille ; On obtient ainsi un sol toujours sec. Les chevaux et les bœufs sont placés dans le reste du hangar, de chaque côté de la ligne de faîtage. Il y a 25 brebis, 12 chèvres, 25 vaches. Les bœufs sont prêtés par l'administration pour les labours et pour la récolte. Ce troupeau est conduit par les soldats. On a établi une porcherie dans le fossé du village définitif, à l'angle Nord-ouest. Ils [= les cochons] trouvent de l'ombre à l'abri des parois de ces fossés hauts de 6 mètres ; Ils y entrent par l'angle saillant du côté des jardins. Il y a 200 porcs métis provenus de cochons européens et de sangliers[24] du pays. Les immondices sont emportées tous les soirs par la voiture et dispersés sur les bords du Chéliff. On a établi aux angles du village des sortes de guérites pour servir de latrines ; Elles abritent le siège percé d'une lunette ; Derrières elles, et du côté du village, les ordures tombent dans un trou de 2 mètres carrés ; Quand le trou est prêt de se remplir, on achève de le combler avec de la terre et l'on transporte la guérite ailleurs.

Le[25] village définitif est établi à l'Est du sentier de l'eau, sur un plateau plus élevé que le village provisoire, sur la partie la plus saillante du rebord que fait dans toute sa longueur les terrains de la prairie. A l'Est, se trouve la partie ultérieure de la prairie ;  A l'Ouest le sentier de l'eau ; Au Nord la berge des jardins ; Au Sud la dépression des marécages. Le sol est incliné du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. La ligne Nord est défendue par la berge des jardins, et les trois autres lignes le sont par des fossés. Le village doit avoir quatre portes d'entrée percées au milieu de ses faux (?) et quatre bastions aux angles. Il a la forme d'un parallélogramme allongé et il est disposé dans le sens du cours du Chéliff. Il est divisé en 20 îles par quatre rues longitudinales et par trois rues transversales, sans compter les boulevards[26]. Chaque île contiendra 4 maisons, excepté les deux îles situées à l'Est et à l'Ouest de la grande place centrale ; Chacune de celles-ci n'aura que deux maisons. Les maisons construites, au nombre de 15, se trouvent toutes, excepté trois demi-maisons et une maison entière, dans le quart Nord-ouest de l'emplacement total. Elles sont plus complètement terminées que celles de La Ferme ; Je n'ai vu nulle part manquer une porte ou un volet. Elles ressemblent d'ailleurs aux maisons du village de La Ferme et, à cause de la situation particulière de Pontéba, elles font plus vivement regretter que les planches du toit ne soient pas mieux jointées, ni les barbacanes plus larges, afin de [les] mettre à l'abri de la poussière et de procurer, au besoin, un renouvellement plus facile de l'air intérieur. Les cheminées sont petites et elles fument. On n'a [pas] construit d'autre établissement d'utilité publique que la boulangerie et l'infirmerie qui sont l'une et l'autre inoccupées[27].

La plupart des établissements publics sont encore dans le village provisoire. Un épicier, en outre de ses menues denrées, débite cognac, absinthe, vermouth, sirop, [ainsi que] du vinaigre et des gommes. Une cantine sert au même commerce du vin et des liqueurs ; On y donne à boire en dehors de la baraque, sur une table en plein air. Une deuxième cantine a été installée près de la baraque d'habitation, dans une espèce de gourbi en clayonnage et en feuilles séchées ; J'ai vu un comptoir et un abri en avant de ce gourbi, des tables à l'intérieur ; L'établissement est tenu par deux jeunes sœurs dont l'une a une petite fille. Un épicier seulement est déjà établi dans une maison : il y vend de l'eau de vie, des liqueurs, des chapeaux de feutre gris, des souliers de Marseille, des sabots que lui envoie le commerce d'Alger. Un boucher vend du mouton et ne peut me montrer qu'un gigot. Les vins et les liqueurs mis en consommation ont été achetés à Orléansville ; Ils sont de médiocre qualité : le vin, à 8 sous le litre, est plat ; L'eau-de-vie, à quatre sous le quart, est aqueuse ; Les liqueurs ont peu ou point d'arôme. Une école est tenue par un ancien maître d'étude dans une chambre de baraque. Il n'existe pas d'église. M. le capitaine directeur a fait, au début de l'occupation, venir, tous les dimanches, un ménétrier[28] d'Orléansville ; Mais les danseurs ne voulaient point payer [et] il a fallu interrompre ce divertissement. La ration de viande est de 250 grammes, tandis que celle du soldat est de 300 grammes ; On la donne jusqu'à l'âge de dix ans et l'on donne la demi-ration au-dessous de cet âge. La ration de pain est de 750 grammes de pain bis et de 125 grammes de pain blanc pour la soupe ; C'est un boulanger d'Orléansville qui fait cette dernière fourniture et qui l'apporte tous les jours. Il entre dans le pain bis, qui est fourni par l'administration, un cinquième de farine échauffée[29] ; Il a une odeur acide, une saveur fade et huileuse [mais] il a été [encore] plus mauvais [il y a quelques mois]. On distribue encore 60 grammes de riz et un quart de vin. On donne un demi-litre de lait aux enfants en-dessous de deux ans. Les vaches laitières, au nombre de 25, ne fournissent plus à elles toutes qu'un demi-litre de lait par jour [!]. [Alors,] on a eu, d'après une circulaire, recours aux Arabes qui vendent tout le lait à distribuer. La viande est fournie par l'administration et amenée sur pied ; On abat tous les deux jours.

Les vêtements des colons sont en mauvais état et leur misère ne leur permet pas de les renouveler eux-mêmes. J'ai vu les enfants, surtout, aller presque nus et exposer au soleil leur peau blanche déjà couverte de boutons et de pustules. On a distribué aux familles quelques mètres de toile cretonne et 70 mètres de toile plus fine, ainsi que des indiennes pour les enfants et pour les femmes, et 40 toiles de sommier pour les familles les plus nécessiteuses. M. le capitaine directeur a fait une demande de 68 blouses et de 68 pantalons de coutil pour les hommes, de 200 mètres de toile de couleur pour habiller les enfants, de 20 chapeaux de paille pour les dames, de 80 paires de babouches arabes pour les enfants des deux sexes. Les chemises d'homme, les souliers, les couvertures, les sacs de couchages, les ceintures de flanelle, sont pris au campement. On a donné 1 bidon, 1 marmite, 1 gamelle par famille ou par réunion de huit célibataires ; Les bidons ont, depuis, été remplacés par des seaux.

Les colons ont fait [= construit] la route depuis le commencement de la prairie jusqu'au village. Elle est de 800 mètres, empierrée et bordée de fossés. Les soldats ont seulement adouci la pente qui est de 8 mètres. Les colons ont en outre creusé les fossés et le puits central du village, et continué le défrichement de la plaine par l'arrachement des jujubiers. Le labour a été fait par les Arabes, les semailles et les récoltes par les colons. Les Arabes travaillent par corvées. Je vois deux meules de blé et une meule d'orge récoltés dans la prairie et attendant le dépiquage[30], et deux autres tas d'orge. L'orge a été récoltée par les Arabes. La récolte d'orge a été de deux fois la semence, celle de blé un peu plus forte. Le marais a fourni du foin en abondance.

Les jardins forment 120 lots : 30 autour du village et 90 dans la seconde couche de terrain d'alluvion, du côté du Chéliff. On y arrive par le sentier de l'eau. On ne voit plus que des tiges desséchées sur un sol poudreux, formé à la surface par un mélange de sable fin et d'argile. Le projet était de faire un puits pour huit jardins ; On en a fait un seul. On arrive par la pente d'un couloir à un trou circulaire creusé dans la terre à cinq mètres de profondeur ; Après les quatre premiers mètres on a trouvé du sable de rivière et on l'a traversé d'outre en outre. La première partie du puits est un large entonnoir à ciel ouvert ; La seconde est un canal formé par trois barriques superposées et équivalent à trois mètres. Ces jardins, où les sauterelles et la sècheresse ont tout détruit, comme à La Ferme, sont [sur] une seconde couche d'alluvions parallèle à celle de la prairie, formant de même un demi-cercle, mais moins étendu à l'Ouest où une crique la borne et où la berge du premier terrain est haute de 16 mètres environ et baignée par le fleuve ; Moins étendu encore à l'Ouest, où les deux rives du Chéliff se rapprochent.  Le sol est dominé par une berge de 11 mètres qui borne la prairie, et il domine lui-même, de la hauteur d'une autre berge de 5 mètres, un banc de sable que le fleuve côtoie en été et recouvre en hiver. On estime que le sol du village est à 25 mètres au-dessus du niveau des infiltrations souterraines. On veut creuser jusqu'à cette profondeur le puits du village qui n'a encore que 8 mètres. Les eaux retirées du puits existant ont les mêmes qualités que celles du Chéliff ; Elles ont [cependant] l'avantage d'être plus fraiches en été et de ne pas être boueuses en hiver.

Le service de santé a d'abord été fait par Messieurs les chirurgiens sous-aides de l'hôpital d'Orléansville, à tour de rôle, tous les mois. Un seul, Monsieur SIMON, l'a fait pendant 3 mois. Il est aujourd'hui confié à Monsieur le chirurgien aide-major LABOUYEGE ; Il l'a pris le 30 mai ; Il le fait avec zèle et dévouement ; Il a toutes les qualités de bonté  [et] de patience qui sont nécessaires dans cette position exceptionnelle ; Attaché au village de Pontéba, il pourra employer, avec suite et progrès, les connaissances saines et spéciales qu'il possède ; Il a lui-même demandé cet emploi avec la résolution de s'y consacrer tout entier. Voici les détails qu'il m'a donnés sur ses propres observations : Un seul accouchement a été suivi d'hémorragies utérines ; Quelques ictères ont été traités par une dose de deux grammes d'aloïne[31] tous les deux jours ; Un seul de ces ictériques a été traité par l'ipéca[32], l'aloïs, et puis par le sulfate de quinine[33] ; Les diarrhéiques ont été nombreux en raison des quantités d'eau que les colons boivent pour se rafraichir et se désaltérer ; Elles ont été arrêtées par l'ipéca à la dose d'un gramme dans un litre d'eau pour les 24 heures ; Des lavements au blanc d'œuf ont été employés d'abord chez les petits enfants et il n'a été recouru aux hautes doses d'ipéca que si la diarrhée persistait ; Des fièvres intermittentes ont nécessité l'usage du sulfate de quinine durant plusieurs jours, et puis celui du vin de quinine ; L'aloïne a enfin été donné dans les convalescences, en cas de symptômes gastriques et si la langue restait chargée. Le lait coupé avec de l'eau de vin[34] a été conseillé pour les jeunes enfants que leur mère ne pouvait plus allaiter suffisamment, les bains de rivière pour les éruptions cutanées, l'infusion de tilleul pour les pertes d'appétit, les angoisses d'estomacs, les courbatures, les inaptitudes au travail à la suite des chaleurs. Les fumigations de marjolaine, marrerbe (?), absinthe cueillies dans les lieux, pour les roideurs et les douleurs développées chez les travailleurs dans les membres les plus exercés, au pied, par exemple, chez les bêcheurs. La cause de malaise la plus forte a été, jusqu'à présent, la chaleur ; Elle était de 48° centigrades à l'ombre et dans la matinée, pendant les derniers jours du siroco ; De 50° à 45° dans la journée. La température du Chéliff dans ces fortes journées était de 28 à 30 degrés. Des eczémas, des pustules, des pemphigus[35] se sont développés à cette occasion. Le pemphigus a été observé surtout chez les ivrognes. Les moustiques sont rares, petits, inoffensifs. Les puces ont disparu depuis les fortes chaleurs. Les punaises sont nombreuses et font désirer le prompt abandon des baraques.

J'ai suivi Monsieur LABOUYEGE / LABOUYSJE dans la visite des malades qu'il a l'habitude de faire à domicile. J'ai vu une entorse du pied gauche traitée par un vésicatoire[36] ; Une diarrhée pour avoir bu trop d'eau ; Une tumeur spontanée du genou qui diminue sous l'influence de vésicatoires volants[37] ; un ictère ; Une ophtalmie légère traitée par le collyre saturnin opiacé[38] ; Un ancien armurier pour armes blanches convalescent d'hémoptysies ; Une ophtalmie légère et des pustules de pemphigus chez une petite fille ; Une ophtalmie palpébrale chez la mère de cet enfant.

L'infirmerie n'a pas encore reçu de malades. Les croisées et la porte sont tournées au sud ; Le bâtiment est achevé. L'éloignement de l'hôpital exige que l'infirmerie soit promptement mise en état de recevoir les malades. Dans la saison épidémique, il sera utile de pouvoir donner, hors des lieux familiers, les premiers secours aux malades gravement atteints. Il faudrait affecter huit lots à cet usage. La pharmacie est installée dans l'une des chambres de M. LABÖYSJE ; Il aime mieux avoir les médicaments à sa portée, pour les nuits surtout. Les médicaments sont rangés avec ordre sur les étagères. M. LABOUYSJE regrette de ne pas avoir à sa disposition un forceps et un spéculum  utérin. Le registre d'inscription des malades n'existe que depuis la prise de service de M. LABOUYSJE ; Il est établi sur simples cahiers de papiers ; Il ne renferme pas tous les renseignements prescrits ; J'ai recommandé qu'on en fit un conforme au modèle et durable par son enveloppe et par son volume. Il n'a été fait que trois vaccinations dont une seule a réussi, et encore avec des caractères douteux. Il n'existe aucun moyen de transport spécial pour les malades. On les transporte dans les charrettes de travail de la colonie. Dans la saison épidémique, il deviendra nécessaire d'apporter à ce service la prolonge[39], la voiture masjon (?) et les cacolites  (?) désignés par les circulaires.

Les colons sont arrivés à Pontéba en décembre dernier. Ils étaient au nombre de 128 hommes, 74 femmes, 80 garçons et 53 filles, en tout 335. Ils étaient partagés en 63 familles et 47 célibataires. Il s'est fait un mariage. Les hommes ont fourni 9 entrées à l'hôpital, 8 sorties et 1décès ; Les femmes 15 entrées, 14 sorties et 1 restante ; Les enfants 10 entrées et 10 sorties. Il a été traité à domicile pour des maladies diverses, 82 hommes, 43 femmes et 28 enfants. La colonie ne compte que 2 naissances. Outre le décès qui a eu lieu à l'hôpital par suite des phtisistes[40], un autre phtisique est mort à la colonie, un homme s'est noyé en se baignant dans le Chéliff, un homme qui était de cuisine est mort le lendemain d'une indigestion de lard, trois enfants de 20 jours à un mois ont succombé à des convulsions pendant le siroco ; deux étaient des filles. Un quatrième enfant, né avant terme, est mort d'inanition.

Il est parti 18 hommes, 7 femmes, 6 garçons et 4 filles. Il est arrivé 2 hommes et 2 filles. Dans les départs comptent 13 ou 14 célibataires, 4 hommes mariés, et la femme illégitime de l'homme qui s'est noyé. Il reste, au 2 juillet [1849], 108 hommes, 67 femmes, 76 garçons et 47 filles, total 298.

Après la description de ces deux villages dont les conditions d'insalubrité et de récoltes chanceuses sont analogues, et qui, dans cette mauvaise année, ont éprouvé déjà ou éprouveront bientôt les plus grands inconvénients de leur position, il me reste à parler du moral des colons et de l'aide qu'ils pourront en retirer. Il m'a semblé qu'en général, et sauf un certain sentiment d'attente, ils avaient déployé et conservaient encore du courage. J'en ai vu qui étaient des cultivateurs[41] et qui appréciaient les qualités intrinsèques du sol, qui s'en remettaient à lui pour une meilleure récolte l'année prochaine. J'en ai entendu un qui se consolait de la mauvaise qualité du vin des cantines en se promettant de planter lui-même sa vigne et de faire son vin. Ils paraissaient presque tous inquiets, inoccupés et misérables, mais ils semblaient aussi attendre qu'on leur donnât quelque chose de mieux à faire. Il ne faudrait peut-être que certaines améliorations, que certaines directions données, pour ranimer leur ardeur. Je ne pense pas d'ailleurs qu'on doive augmenter leur nombre ni remplacer les partants. Je voudrais qu'on achevât les maisons commencées, qu'on y adjoignit les établissements d'utilité publique tels que puits à roues, bassins, lavoirs, écoles, forges, ateliers de charronnage, et que, pour des colonies nouvelles, on cherchât de meilleurs emplacements.

 

Le village de Montenotte est situé sur la route de Ténès à Orléansville, à six kilomètres du premier lieu. Il est bâtit à l'angle Sud-ouest de la chaine de montagne qui, sous le nom de Djebel Thaga, vient former le côté Ouest de la gorge de Ténès. Il occupe un point intermédiaire entre cet angle et les détours de l'oued Allala qui perd sa direction de l'Ouest à l'Est, pour marcher directement au Nord et pour entrer dans la gorge. Il est assis sur l'extrémité d'un plateau qui descend en pente douce de la montagne aux berges de la rivière.

En prenant ce plateau à la ligne de partage des eaux qui descend du mamelon d'Aïn Regada, détaché lui-même de la montagne au-dessous du col appelé Bab Orrebsa, ou, pour mieux faire, en le prenant au bord Est du  ravin de la fontaine, on le voit former une pente générale au Sud vers la rivière, et, à l'Est une pente moindre et plus douce qui s'arrête à la naissance du ravin d'Aïn Defla. Les deux pentes s'arrêtent à ses berges et Montenotte est adossé à l'angle qu'elles font en se réunissant au-dessus de la tête du ravin. Il y est appliqué comme un amphithéâtre en fer à cheval. La corne Nord-est, moins grande, est isolée par les deux ravins d'Aïn Defla et d'Aïn Hamara, et par une berge intermédiaire ; La corne Sud-ouest, plus considérable et plus allongée, a sa pointe au bord Ouest du ravin d'Aïn Defla, et son flanc à la berge Sud du plateau, au-dessus des alluvions de la rivière. L'arène est représentée par la tête du ravin. Au-dessus sont les pentes demi-circulaires qui recevront les maisons du village ; Au-dessous se trouve un terrain d'alluvions argileux étendus sous forme de segment de cercle, entre les berges et la rivière, commencé au pied de la montagne à l'Est des ravins d'Aïn Hamara et d'Aïn El Asi, terminé au-dessous de la pointe de la berge Sud, vers le ravin d'Aïn Regada. Plus loin, paraissent les bords ou escarpements sablonneux de l'Oued Allala, et son lit obstrué par des galets et des bancs de sable entrelacés de lauriers roses. En face, au-delà de la rive droite, surgissent des collines qui séparent les lits de trois affluents qui sont, du Nord au Sud, l'oued Rihan, l'oued Ben Ali et l'oued Bou Habou / Halou. Et plus loin s'élève un coude formé à gauche par les montagnes des Ouled Ali et, en face, par les montagnes dont les soldats ont appelé l'extrémité Ouest, entre les camps de Kirba et de Bonbara, la montagne de Plâtre. Celles-ci forment une ligne continue. Les crêtes ne sont interrompues qu'à l'endroit d'un col appelé par les arabes Bab Izzirga (?), et par lequel passe un affluent de l'oued Bou Halou. Au-dessus de cette ligne surgissent plusieurs sommets éloignés et parmi lesquels se distingue le pic de Tifraout. Les ravins des trois affluents et les montagnes des Ouled Ali qui, sur la gauche, vont former la paroi Est de la gorge, sont couvertes de végétation arborescente, ainsi que les ravins situés au Nord et à l'Ouest de Montenotte. Ils forment un paysage verdoyant, une sorte d'oasis si on les compare aux ravins arides de la partie ultérieure de la route d'Orléansville. L'air y est rafraîchi par la brise qui arrive à travers la gorge de Ténès ou passe par-dessus la montagne boisée des Ouled Ali. Les points plus rapprochés du pied de la montagne et plus élevés, celui d'Aïn Regada par exemple, sont plus chauds, soit parce qu'ils sont moins exposés à cette brise, soit parce que la réverbération de la montagne voisine y concentre la chaleur. A Montenotte, cependant, la température est encore d'un ou deux degrés plus élevée qu'à Ténès, et l'on reçoit souvent de l'Ouest des vents chauds chargés de poussière.

Le terrain du plateau est vierge, jaune, composé de particules calcaires et ferrugineuses. La tête du ravin d'Aïn Defla présente, au dessus (?) de cette terre, des couches épaisses de terre végétale et noire qui augmentent à mesure que l'on descend dans le ravin. La terre du segment de cercle formé par les alluvions de la rivière est aussi noire et végétale, et repose sur des couches profondes d'argile. Autant ces terrains de la tête du ravin, et celui de la prairie où il aboutit, seront propices aux travaux de jardinage et à l'établissement des prairies et des pépinières, autant ils menacent de nuire à la santé des colons par les exhalaisons marusmatiques (?) auxquelles il ne peut manquer de donner lieu. Il y contribuera avec les vallées de l'oued Allala et de ses affluents, mais il mérite plus de considérations parce qu'il est plus rapproché. Je dois donc signaler comme une circonstance favorable, l'établissement de la plupart des maisons du village sur la terre vierge, et donner tous mes vœux au projet de consacrer toute la partie de la tête du ravin comprise dans le village à l'établissement d'une vaste place plantée d'arbre ; Elle devrait [même] être agrandie de tout l'espace de la première île de maisons qui lui fait suite sur le plan actuel. On devrait ainsi exclure du village tout le terrain situé au Sud de la route d'Orléansville ; Il est aussi composé de terre vierge, mais il touche à la berge des jardins et je crains le trop grand voisinage de leurs émanations. On pourrait, du moins, ne construire qu'une rangée de maisons sur le côté Sud de la route, faire immédiatement après le fossé d'enceinte, et abandonner l'espace triangulaire compris entre cette ligne et celle de la berge. On trouverait au Nord du village, en suivant les bords du ravin d'Aïn Hamara, l'espace perdu d'un autre côté. Les deux côtés droits du triangle que formerait encore le village, regarderaient l'Ouest et le Sud, l'hypoténuse regarderait le Nord-est, et un emplacement rapproché des mauvaises influences serait remplacé par un terrain éloigné d'elles de toute la largeur du village. On satisferait aux seules craintes que puisse donner l'inspection des lieux, [et] on suivrait l'opinion générale des arabes en regardant comme malsaine l'habitation de la tête du ravin d'Aïn Defla. L'aide major chargé du service médical de la colonie, M. COLMANT, a déjà observé des fièvres plus nombreuses et plus rebelles chez les colons qui habitent le côté Sud de la baraque située le long de la route.

A droite et à gauche de la route, le plateau est nu. A la naissance de la montagne, il offre en plusieurs endroits des fontaines, des ravins et une végétation arborescente. Je citerai le ravin d'Aïn Regada où sortent plusieurs sources, où croissent des oliviers sauvages, qui croissent en abondance à la partie inférieure et élargie, dans l'endroit de la briqueterie, [où se trouvent ?] les ravins et les sources d'Aïn El Hamara et d'Aïn El Asi. Il existe un projet de conduire dans la prairie, au-dessous de Montenotte, les eaux d'Aïn Hamara et d'Aïn El Asi, par une rigole de 2400 mètres. Le plateau lui-même donne naissance à la source d'Aïn Defla ; Elle pourvoit aux besoins du village et à toutes les irrigations de la pépinière et des jardins. Le fond du ravin est couvert de lauriers roses qui ont donné leur nom à la fontaine car « Defla » est une corruption de « daphné [42] ». Plusieurs oliviers sauvages existent aussi dans les environs de la fontaine. Tout ce terrain parait être parcouru par des eaux souterraines. En croisant au-dessus de la 1ère source, on en a trouvé une seconde aussi abondante et aussi bonne. Chacune est abritée par une petite construction en pierre et elles se rendent l'une et l'autre dans des bassins maçonnés ; Le bassin de la première source avait déjà été construit il y a 2 ans par le Magzen[43]; Depuis, un second bassin a été construit au-dessous de celui-ci pour servir de lavoir. L'eau est légère et fraîche ; Elle cuit bien les légumes ; Elle dissout parfaitement le savon ; Elle suffit à tous les besoins du village. La pépinière est établie au Sud de la route, au-dessous de ces sources. Les jardins des colons ont été pris dans le terrain d'alluvion qui s'étend au-dessous du village, au Nord de la route, ou dans la partie la plus rapprochée de son côté Sud. Le reste de la prairie, à l'Ouest, ne présente que des traces de végétation herbacée et le canal d'irrigation qui avait été creusé depuis l'extrémité Ouest de ce terrain pour en suivre les pentes les plus élevées. On doit le revêtir en pierres, on doit garnir d'une vanne son ouverture ; Il est aujourd'hui à sec ; Il a 2 mètres de largeur et de profondeur, et 900 mètres de longueur. Il devait arroser 190 lots de jardins ; Une vingtaine seulement se trouvait hors de sa portée ; Le projet était d'y creuser des puits.

Une pente sébisteuse[44] et calcaire qui descend vers l'extrémité Est de la prairie, et un plateau secondaire de même nature qui se trouve compris dans un repli de la rivière au-delà de cette extrémité, ont reçu les céréales cultivées pour les colons. L'oued Allala n'est plus, à cette époque de l'année, qu'un mince cour d'eau verdâtre, répandu sur une large surface ; Son lit est boueux jusqu'au niveau du douar des Krames Arabers ; Il est ensuite formé par des galets et enfin par des sables et par des rochers schisteux ou calcaires. Dans la saison des pluies, ce petit fleuve se répand sur ses deux rives, qui sont peu élevées, et ne rencontre un obstacle suffisant qu'aux premières berges qui leur succèdent. La route raccourcie qui mène de Ténès à Montenotte le traverse sur une passerelle au sortir des gorges et le côtoie encore à l'endroit d'un coude intermédiaire au pied de la montagne. La grande route est celle d'Orléansville ; Elle traverse la rivière au-dessous du village ; En mai, cinq chevaux appartenant à la colonie ont été entrainés et noyés à cet endroit.

Le village définitif est allongé de l'Est à l'Ouest ; Il a la forme d'un triangle tronqué à ses angles Est et Nord-ouest, et entaillé sur ses lignes Sud et Nord. La pente forme une espèce de promontoire entre les ravins d'Aïn Hamara et d'Aïn Defla ; Le côté Sud est une ligne oblique qu'interrompt le ravin d'Aïn Defla à la rentrée de deux lignes perpendiculaires, et qui reprend et suit dans une plus grande longueur la berge de la prairie. Le coté Nord est une ligne droite, et puis une ligne oblique, qui suivent le ravin d'Aïn Hamara, et enfin une ligne droite placée sur la pente du plateau. L'Ouest est une ligne droite, tirée du Nord au Sud sur ce plateau. La partie comprise au Nord de la route à deux pentes, l'une plus forte vers le Sud et l'autre plus faible vers l'Est. La partie comprise au Sud de la route et que nous nous proposons d'abandonner a, dans la même proportion, une pente vers le Nord et une autre pente vers l'Est. Le tracé du village, suivant ce plan, a quatre rues longitudinales dirigées de l'Est à l'Ouest, et dont l'une est la route d'Orléansville, 6 rues transversales, et vingt huit îles de maisons (quatorze de ces îles sont coupées et arrondies par leurs (?) lignes obliques ou rentrantes), une place centrale, la porte de Ténès et la porte d'Orléansville. Un mur, et dans les endroits dépourvus d'escarpement, un fossé, doivent clore le village. Cinq bastions seront établis aux angles et au milieu de la grande ligne oblique du côté Sud-est.

Les baraques provisoires sont au nombre de quatre. Trois sont parallèles à la route et situées au-dessus et au Nord de celle-ci. La quatrième est située à l'Ouest des trois autres et perpendiculairement à elles ; Elle est terminée au Sud par le café maure ; Elle correspond à une ligne semblable, formée à l'Est par le café MARTINE, l'église, l'étable et une cantine. Les baraques, disposées comme il a été dit au commencement de ce rapport, sont dégradées dans leur sol et, de plus, celle qui forme une ligne à l'Ouest est exposée au vent chaud qui a traversé les terres arides de la vallée, et au soleil brûlant de l'après-midi. Cependant, la baraque longitudinale la plus rapprochée de la route est la seule qui ait été abandonnée. Les rues entre les baraques ont au milieu une chaussée empierrée et, sur les côtés, plusieurs lignes de fossés parallèles et profonds pour l'écoulement des eaux ménagères et des eaux de pluie. Un large espace entre les baraques et la route a été, devant chaque maison, fermé par des haies en clayonnages et en feuilles sèches. Chacune de ces petites cours a reçu la cuisine, la hutte de la truie, la volaille, et a servi à faire la lessive. Plusieurs colons ont fait des cages pour la volaille ; Les autres lui donnent asile dans leur chambre, malgré les conseils [d'hygiène] qu'on ne leur a pas épargné.

Les ordures sont enlevées tous les jours par une voiture. Les latrines, séparées pour les hommes et pour les femmes, sont établies dans deux hangars, sur un point escarpé du ravin d'Aïn Hamara.

La plupart des colons paraissent bien fournis de meubles, soit apportés de France soit achetés ou fabriqués à Montenotte. Plusieurs ont établi, au-dessous des fermes [du toit] [45], une soupente où  ils couchent. L'intérieur des chambres est bien tenu. Je n'ai vu d'exception que dans une seule chambre dont M. le Cmdt LAPASSEE[46] gourmande devant nous la ménagère habituée à recevoir des reproches. Les célibataires ont été logés au nombre de quatre par chambre.

Presque toutes les maisons achevées sont dans une rue qui monte vers le ravin d'Aïn Hamara et sur le bord de ce ravin. Elles sont bâties sur le modèle que j'ai décris au commencement de ce rapport. Elles ne présentent de différence qu'en ce que, disposées sur un sol incliné, les pignons de séparation des deux ménages dans chaque maison, font saillie au-dessus du toit du ménage placé le plus bas. On a essayé un bétonnage en chaux-vive et en cailloutis. Il a l'inconvénient de rendre le lavage et le balayage difficile. La plupart des maisons sont d'ailleurs en briques posées de champs. Toute maison livrée aux colons est achevée. Ils ne se plaignent que des cheminées qui fument et de la poussière qui pénètre à travers les planches non bouvées[47] du toit au-dessous des tuiles. Les cours intérieures ont 18 mètres sur 29 ; Quelques unes sont déjà closes par des haies en clayonnage.

L'église est encore dans une baraque en planches, mais elle est suffisamment meublée. Elle a un autel, des bancs, un confessionnal ; Elle est précédée par un porche au-dessus duquel la cloche est suspendue. Elle était desservie par un curé affecté à Montenotte ; Il vient de partir, et il est remplacé par Mr. le curé de Ténès. Deux écoles, pour les filles et pour les garçons, sont tenues par un maître et par une maîtresse d'étude, dans deux chambres percées de deux croisées de chaque côté. Le maître est établi sur une estrade ; Il a derrière lui le tableau noir surmonté de la croix[48], et, devant lui, une table. Les élèves sont assis sur des bancs devant des pupitres. Les salles n'ont pas de cheminée ; On les chauffera sans doute en hiver avec des poêles. J'ai obtenu qu'une boisson fraîche et désaltérante fût mise à la disposition des élèves. Les heures de travail sont de sept à dix [heures du matin] et de 1 à 4 heures [de l'après-midi]. J'ai proposé qu'on retranchât une demi-heure matin et soir. Une salle d'asile pour les petites-filles qui ne vont pas encore à l'école est tenue, dans une chambre à cheminée, par une jeune fille qui leur sert de moniteur.

La boulangerie est déjà ouverte. Les farines proviennent de blé [pour] moitié récolté dans le pays et [pour] moitié vendu [= acheté] ; Elles sont fournies par un boulanger d'Orléansville ; Elles sont blutées[49] à 10 k 15 pour le pain bis et à 22 k 25 pour le pain blanc. Un commis distribue le pain, le vin, le riz et les haricots. Toutes ces denrées sont de bonne qualité.

La boucherie occupe une chambre. La viande, fournie par un négociant, est servie par deux colons et par un aide arabe ; Elle est belle et l'établissement est bien tenu ; Un abattoir lui est annexé.

Un charcutier est approvisionné en lard, graisse, saucisses et jambon. Il doit creuser un silo pour conserver ses denrées. Un épicier vient de cesser son commerce pour tenir cantine ; Il vend du vin plat à 6 sous le litre, de la mauvaise absinthe à 25 sous la bouteille et à 2 sous le petit verre, [et] de l'eau de vie faible et poivrée. Ces denrées sont achetées à Ténès [et] Mr. le capitaine directeur se propose de provoquer une surveillance active sur les marchands qui les fournissent. Un mercier tient des Nouveautés. [Il existe aussi] un marchand de tabac. Tous ces établissements sont installés dans des maisons et se trouvent dans la même rue.

Un colon, qui a femme et enfant, a fait bâtir une baraque où il tient café. Ses denrées, excepté l'absinthe, sont bonnes ; Il a fait creuser une cave pour rafraîchir les liquides ; Les parois en sont dépourvues d'humidité ; Elles donnent lieu de croire que les silos que l'on creuserait dans la partie supérieure du village seraient de bons magasins. Un autre colon a fait bâtir une cantine à l'entrée du village et tient la pension des officiers et des employés. J'ai encore vu, dans les baraques, une cantine où le vin est aigre et où l'on donne à manger, et deux ménages qui reçoivent des pensionnaires ou donnent à manger. Une femme mariée fait le métier de blanchisseuse. Un colon marié fait fonction de garde-champêtre. Un indigène a élevé un café maure à l'extrémité du village et près de la route ; Il est fréquenté par les métayers arabes et par les indigènes qui viennent au marché ; C'est un intermédiaire entre l'ancienne et la nouvelle société. L'infirmerie, achevée, n'a pas encore reçu de malades. La pharmacie est établie dans la première chambre du logement du chirurgien ; Les médicaments sont rangés avec ordre sur une étagère. Le cahier d'inscription des malades est bien tenu ; Il est seulement à désirer qu'il soit établi sur un registre. Il manque un forceps. Les consultations sont données dans la pharmacie ; Les malades qui ne peuvent pas sortir sont vus à domicile. Je ne vois que quatre malades, dont deux sont atteints de fièvres intermittentes. Dix-sept enfants ont été vaccinés à la colonie ; cinq ont du être soumis deux fois à l'opération. Visite a été faite pour reconnaitre ceux qui devraient être vaccinés : ils sont au nombre de dix, y compris les enfants nouveau-nés. Un enfant de sept mois est mort de diarrhée. Il y a eu 5 naissances. 205 malades ont été traités à la colonie et 10 à l'hôpital [de Ténès ?]. Les maladies principales ont été des diarrhées et des fièvres ; Elles comprennent 112 malades sur le nombre total. L'aspect général des habitants est meilleur que dans les deux autres colonies. Ils ont évidemment moins souffert ; Ils sont moins fatigués, moins pâles ; Ils ont conservé plus d'embonpoint ; Ils montrent plus d'activité et d'espoir[50]. Dans ma visite des chambres, je n'ai guère trouvé que les femmes et les enfants ; Les hommes étaient partis pour le travail. Presque tous les ménages ont conservé des réserves, des produits des jardins, élevé des poules, des canards, une truie. Presque partout, j'ai vu les marques de l'activité et du travail. Ce sont de vrais résultats et des sujets d'espoir pour l'issue des moments difficiles. Je les crois dus au choix d'un bon emplacement, aux efforts de Mr. le capitaine directeur pour améliorer le sort des colons, aux moyens que sa position de chef d'un bureau arabe[51] lui ont donné, aux soins incessants et bien dirigés de Mr. COLMANT, chirurgien aide-major chargé du service médical de la colonie et du camp d'Aïn Regada. Attaché à la colonie depuis le 18 janvier [1849], il a pu suivre ses progrès et s'intéresser de plus en plus à des résultats qui lui appartenaient en partie. Il ne s'est pas borné à traiter les malades qui recevaient ses soins [mais] il a répandu de sages conseils hygiéniques, soit de personne à personne lorsqu'il apercevait quelque infraction aux règles de la santé, soit par des instructions écrites et adressées à tous. Voici, en abrégé, les règles à suivre et les précautions à prendre qu'il a fait publier au mois de mai [1849] : « Vêtements : être bien vêtu le matin ; n'ôter les vêtements qu'après que la chaleur et le travail les auront rendu gênants ; porter une ceinture de flanelle ; porter, au soleil, un chapeau de paille ou de feutre ; ne jamais laisser sortir les enfants sans avoir la tête couverte. Boissons : danger de boire de l'eau pure et froide lorsque l'on est échauffé ; inconvénient de la boire dans la matinée ; le café, le thé, les tisanes et même l'eau de vie coupée d'eau sont conseillés ; l'absinthe est mauvaise. Travail : commencer le travail extérieur avant le lever du soleil, rentrer vers 8 heures ½ et recommencer à 1 ou 2 heures ; ne jamais rentrer après le coucher du soleil ; l'air du matin est salutaire ; l'air du soir est nuisible, dans les jardins surtout ; il est bon de se lever et de se coucher tôt ; on peut dormir quelques instants dans le milieu du jour. Enfants : ne doivent quitter le lit et sortir qu'une heure après le lever du soleil ; ne doivent pas sortir dans le milieu du jour. Bains : user avec réserve des bains dans la rivière, et pour la propreté seulement ; choisir l'heure de 3 à 5 ; les bains de mer sont bienfaisants ». Mr. le capitaine directeur a recours aux mêmes moyens pour propager des notions utiles sur la culture des champs et sur la conduite et l'élève des bestiaux. Ces messieurs regrettent que leurs conseils n'aient pas toujours été suivis. [Cependant,] je ne crois pas qu'ils restent jamais inutiles : les hommes volontaires regretterons de ne pas avoir suivi un bon conseil et feront mieux une autre fois.

Malgré un bon esprit général, quelques colons ont quitté le village. L'un a insulté le capitaine directeur [et] s'est enfui à Ténès ; Il a déclaré qu'il voulait y résider ; Deux hommes, et la femme de l'un d'eux, se déclarent incapables de travailler et sont rayés [de la liste des colons] sur leur demande ; Un célibataire de 62 ans, en permission à Alger, [est] rentré en France sans autorisation ; Un colon est expulsé ; deux voleurs sont traduits devant le conseil de guerre ; Une femme et trois célibataires rayés sur leur demande. Le nombre total des départs est de 22. En revanche, un homme, sa femme et ses trois enfants sont passés de la colonie de Pontéba à celle de Montenotte[52] ; Un homme et sa femme ont été admis ; une fille et une femme mariée ont [aussi] rejoint [la colonie] ; Ce qui, avec d'autres arrivées sur lesquelles je n'ai point de détail, fait le chiffre de 54. Je n'ai vu de gens qui eussent encore le désir de rentrer [en France] que 3 célibataires, ouvriers d'art sans emploi, et un ménage dont une personne, la femme, est atteinte d'hypertrophie du cœur.

Les colons ont été débarqués [à Ténès] le 1er décembre [1848]. Ils sont arrivés à Montenotte le 3 décembre. 21 seulement sont restés à Ténès du fait de l'insuffisance des baraques qui ne sont pas encore toutes recouvertes de tuiles. Le nombre total [des habitants de Montenotte] est de 94 hommes, 90 femmes mariées, 56 [hommes] célibataires, 5 femmes célibataires, 30 garçons et 15 filles au-dessus de 10 ans, 33 garçons et 35 filles de 2 à 10 ans, 11 garçons et 8 filles au-dessous de 2 ans : Total 377, ce qui avec 10 naissances et 54 arrivées fait 443. Déduction faite de 2 morts et de 24 départs, il reste 417 personnes[53]. Le nombre des hommes adultes se décompose à peu près en 12 cultivateurs, 107 petits commerçants et 44 ouvriers d'art, principalement menuisiers et charpentiers.

[Décembre.][54] A leur arrivée, les colons trouvèrent les baraques établies, des semis de plantes potagères dans le terrain destiné à la pépinière, des labours faits depuis le 24 novembre [1848] par 70 Krames (?) ou fermiers métayers Arabes, des semis de 70 kilos d'orge et de 110 kilos de blé, une nonada / monada (?) en étable de 40 mètres sur 4,50, la fontaine d'Aïn Defla amenée depuis 2 ans dans un bassin construit par le Magzen. Distribution des logements : Une chambre de 36 m par ménage ou par réunion de 14 célibataires[55].  Distribution d'effets de couchage, d'ustensiles pour la cuisine. Les effets distribués jusqu'à ce jour sont : couverture en service 246, idem hors de service 72, total 318 ; chemises 456 ; souliers 400 ; ceintures de flanelle 315 ; sabots 326 ; sacs de couchage 405. Dès le 5 [décembre 1848] les colons creusent [= ont creusé] dans la prairie un canal d'irrigation dérivé de l'oued Allala et achevé le 21 décembre [1848]. Les 22, 23 et 24 [décembre], distribution de 159 lots de jardins, 147 pour les cultivateurs et 12 pour les industriels [= ouvriers]. La surface de ces jardins équivaut à 36 hectares 63 ares et 97 centiares ; Une vingtaine n'aboutissent pas aux irrigations du canal ou de la rivière ; On y creusera des puits. Des cours closes avec des branches de laurier rose [et] du feuillage de malkin (?), sont établies devant les baraques pour renfermer une cuisine couverte et éloignée de 6 mètres et devant servir à deux familles et pour parquer la volaille. Distribution de caisses à biscuits pour faire des bancs et des tables. Etablissement d'allées larges de deux mètres et empierrées entre les lignes de baraques ; Elles sont reliées à d'autres allées transversales et plus étroites, partant des portes.

Janvier. Passerelle sur l'oued Allala. Distribution d'effets réformés [= vieux vêtements]. Prestation de 76 bœufs de labour et de 10 chevaux de réforme. Deux de ces chevaux sont employés aux transports urgents, tels que celui des malades. [Plantation de] 600 pieds d'arbres reçus de la pépinière centrale : 300 arbres d'allées et 300 arbres fruitiers, ce qui fait 4 pieds d'arbre par concession ; On y ajoute 10 arbres fruitiers du pays.

Février. Distribution de 90.000 pieds de vigne = 600 par concession ; Distribution de 16 arbres fruitiers de plus [par concession ?], oliviers, figuiers, muriers. Prestation de 10 chevaux de réforme pour les travaux d'installation.

Mars. L'ancien marché arabe est rouvert. Plantation de boutures, de figues blanches et de cactus. Etablissement d'une nopalerie[56] dans la pépinière. Travaux de terrassement pour les fortifications et pour les canaux. Un café et une cantine sont construits par les colons.

Avril. Il ne reste que 4 chevaux, 74 bœufs, 20 vaches. A la fin du mois les baraques sont complètement recouvertes en tuiles ; Les essais de couverture en toiles goudronnées ont été abandonnés. 7 lots de 2 hectares chacun et couverts de jeunes oliviers sauvages sont livrés à des colons qui veulent essayer la greffe de ces arbres. Les céréales semées en janvier et février viennent mal. Les jardins fournissent en abondance des fèves, des petit-pois, des petites raves, des petits oignons, des salades, des choux, des pommes de terre. Quelques familles achètent des moutons, des chevaux, des ânes.

Mai. Quelques colons vont avec les Arabes faucher du foin à 10 lieues et plus de Montenotte. On trouve une seconde source, proche de la première, sur le coteau de la vigne ; Elle est reçue dans un bassin et conduite vers les cultures maraichères. 3 chevaux et une mule sont venus du [régiment du] train. Les colons possèdent en propre 15 bœufs ou vaches, 218 brebis, 4 chevaux de 6 ans ; Ils vont avoir des truies ; Ils ont encore peu de volailles.

Juin. Les 3 et 4 [du mois], fête patronale du village. Les Arabes du voisinage sont invités et donnent des bœufs en présent. On a déjà célébré le baptême du premier né du village et préparé un terrain pour la danse, acheté un violon. Le 30 [juin] ouverture d'écoles pour les garçons et les filles et d'une salle d'asile pour les petits enfants. 37 ménages sont déjà logés dans des maisons. Au 1er juillet [1849] il existe 22 maisons doubles à quatre chambres, 3 maisons simples à 2 chambres, 8 maisons à une chambre ; [À cela s'ajoute :] boulangerie, boucherie, forge, église, école, salle d'asile, 2 fontaines maçonnées, un lavoir provisoire et non recouvert, un canal d'irrigation, 3 carrières en exploitation. La nouvelle route de Ténès est ouverte dans une longueur de 700 mètres. Six maisons doubles et 8 maisons à une chambre sont en construction.

Les métayers arabes ont cultivé 354 hectares. La pépinière et la ferme modèle comptent 6 hectares ; les jardins 36,63 ; les cultures d'olivier 14. Il a été planté 4500 arbres fruitiers et 120.000 ceps de vigne dans les jardins ; 16.900 arbres, arbustes ou boutures dans la pépinière. 59 kilos métriques[57] d'orge ont rapporté le cinq[58] ; 293 kilos de blé ont rapporté le quart[59]. La récolte a été faite par les arabes et par des colons payés. La mauvaise récolte est due à la sécheresse qui règne depuis janvier. Les colons ont récolté avec les arabes 3400 quintaux métriques de foin, 1300 quintaux de paille de dépiquage, et 6 quintaux de chaume. Les 600 quintaux de foin récoltés au loin par 25 colons ont péri par le feu. La colonie dispose de 20 vaches laitières, 90 bœufs de labour, 146 truies, 100 marcassins, 6 chevaux, 1 mulet. Les colons possèdent en propre 10 bœufs, 130 brebis,  4 chevaux, 6 ânes.

 

Ténès, le 4 août 1849

RIETRENEL (?)



[1] : Un bouvet permet de rainurer des planches. C'est une façon de mieux solidariser une planche à ses voisines.

[2] : Petite ouverture verticale pratiquée dans les murs des châteaux et des forteresses, pour pouvoir tirer à couvert sur les ennemis.

[3] : Ce n'est pas « tenons » ; S'il faut bien lire talon, il s'agit d'un terme de menuiserie : Le derrière d'une moulure, lequel est arrondi et dégagé.

[4] : Dans tout le document, l'auteur utilise la forme « Sehélif » que j'ai restituée en Chéliff.

[5] : Je pense que l'auteur parle des arbres et arbustes plantés par les colons et dont peu ont survécu aux calamité qu'il développera plus loin.

[6] : Lorsque l'armée s'installa sur les ruines de l'ancienne ville romaine en 1843, elle mit en place deux postes militaires extérieurs, l'un pour l'approvisionnement des hommes qui fut familièrement surnommé « la ferme » et l'autre pour les fourrages des chevaux qui fut nommé « la prairie », avant que ce dernier emplacement prenne le nom de Pontéba en prévision de l'arrivée des colons.

[7] : On dirait plutôt « ilots d'habitation » aujourd'hui. Que l'on dise île ou îlot, il s'agit de la transposition moderne des anciennes « insulae » romaines qui signifiaient également « îles »

[8] : Désigne en général un vin trop faible en alcool.

[9] : Il s'agit de tonneaux de vin de 25 litres, qui trouvent ici à être réemployés après consommation du contenu.

[10] : Le texte dit 1/32, mais il me semble que cela ne veut rien dire.

[11] :  Égrener le blésoit en le faisant piétiner par des bêtes, comme c'est le cas ici, soit en le passant au rouleau.

[12] : Mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père Jean-Baptiste LEFEVRE, l'un des colons arrivés 6 mois plus tôt, était maçon et est donc probablement concerné par cette mention.

[13] : Il s'agit du début de la maladie, avant son acmé.

[14] : L'Albatros est arrivé au port de Ténès le 1er décembre 1848.

[15] : On reparlera d'eux lorsqu'il sera question de Montenotte.

[16] : Je suppose que cette curieuse mesure de distance se réfère au temps qu'il faut pour la parcourir à pied ?

[17] : Je n'avais pas notion de cette citronnerai que je ne vois pas sur les plans.

[18] : Suit un historique succinct du poste militaire qui avait familièrement été dénommé « la prairie » en référence à la nature des lieux.

[19] : D'autres documents font allusion à ce bois souterrain qui fut le principal combustible dans les premières années d'Orléansville.

[20] : Un jadis qui a pourtant nécessairement moins de 10 ans puisque les français sont arrivés en 1843 et que le rédacteur visite les lieux en 1849 !

[21] : Comme le « jadis » qui précède, cet « autrefois » doit remonter à moins de 3 ans.

[22] : Pièce de charpente qui transmet le poids général de la toiture aux éléments

[23] : Certaines des planches qui constituent la paroi de leur cabane.

[24] : Je suppose qu'ils devaient proliférer, protégés par les tabous alimentaires.

[25] : Tout ce paragraphe avait été oublié lors de la rédaction du document (une feuille volante mal classée ?). Quand l'auteur s'en aperçoit, il demande de faire un report de ce passage à la « page 35 » de son document. Lorsque j'ai transcris le texte, j'ai décidé de suivre sa demande car il aurait de toute évidence réinséré le passage au bon endroit s'il avait disposé d'un ordinateur.

[26] : Les boulevards sont tout simplement les rues les plus extérieures du village, bordées par le fossé d'enceinte.

[27] : Fin du passage réinséré au bon endroit.

[28] : Un joueur de violon et accessoirement chanteur. Les ménétriers se louaient ici et là pour les fêtes de village.

[29] : La farine échauffée était soit une farine attaquée par les insectes, soit de la farine dans laquelle ont faisait entrer de la châtaigne ou, pire, du marron écrasé. Elle ne sentait pas bon. On la faisait repasser à la meule et à la bluterie, la mêlant parfois de nouveau à de la bonne farine. La mauvaise odeur était à peu près dissipée, mais le goût du pain était acre.

[30] : C'est à dire la battage.

[31] : L'aloïne, aussi connue sous le nom de Barbaloïne[2], est un composé amer de couleur jaune-marron. Il est extrait de l'aloès.

[32] : Plante brésilienne dont la racine prévient les vomissements et les diarrhées.

[33] : La quinine avait pu être isolée de l'écorce de quinquina en 1820 puis, dès la fin de la décennie, extraite par un procédé industriel sous forme de sulfate de quinine. Traitement par excellence des fièvres palustres.

[34] : L'eau de vin était déjà également qualifiée d'eau de vie, terme qui a seul persisté aujourd'hui. C'est le produit de la distillation du vin, certainement utilisé ici comme antiseptique.

[35] : Le pemphigus est une maladie dermatologique rare attaquant la peau ou les muqueuses avec des lésions à type de bulles ou de croûtes, dont le diagnostic est histologique et dont on ne connaît pas la cause. Plus généralement, il s'agit de toutes sortes de maladies bulleuses.

[36] : Substance qui a des propriétés révulsives et qui produit des vésicules sur la peau. La poudre de mouche cantharide était le plus courant des vésicatoires.

[37] : Contrairement au « vésicatoire permanent », un « vésicatoire volant » consistait à appliquer et à enlever plusieurs fois successivement le produit vésicant sur la partie lésée, ou à proximité immédiate.

[38] : La toxicité du plomb devait servir d'antiseptique, et l'opium atténuait la douleur.

[39] : C'est une sorte de chariot généralement utilisé par les artilleurs pour les munitions. Je comprends cela comme une sorte de remorque attachée à l'arrière d'une voiture à cheval ?

[40] : Je comprends qu'il a été contaminé par des malades tuberculeux de l'hôpital d'Orléansville.

[41] : Le texte dit « cultiveurs ».

[42] : Laurier en grec.

[43] : Magzem / magzen / maghzen : nom donné en Algérie aux cavaliers arabes qui combattent sous les ordres des officiers attachés aux bureaux arabes (Ex : « un magzem de cent cavaliers »). C'est donc, ici, le bureau arabe qui s'est occupé de ces travaux.

 

[44] : Qualité d'argile, de marne voire de pierre blanche que je ne parviens pas à déterminer. On parle aussi de « sébiste arglleux ».

[45] : Déjà vu. Pièce de charpente qui transmet le poids général de la toiture aux éléments

[46] : Ferdinand LAPASSET avait été blessé à la main droite dans une escarmouche avec les arabes, en 1846. Est-ce pour cela qu'on l'avait nommé directeur de village ? C'était une position peu avantageuse pour un officier en vue. Plus tard, après un retour en France, il revint en Algérie où il fut général.

 

[47] : Je suppose qu'il s'agit d'une forme courte de « bouvetées » déjà défini dans une note précédente.

[48] : A l'époque, et jusqu'en 1881, c'était en effet une obligation. Nos voisins italiens supprimèrent cette même obligation en 2009.

[49] : C'est l'opération de tamisage qui sépare la farine brute de ses impuretés.

[50] : Six mois plus tôt, après avoir débarqué à Ténès, les colons destinés aux 3 villages avaient pris ensemble la route d'Orléansville et étaient passés par le site de Montenotte, laissant sur place ceux qui étaient destinés à peupler ce village. Cela avait été l'occasion d'un début de rébellion, vite jugulé par les soldats qui encadraient la colonne, parce que beaucoup de ceux qui devaient peupler La Ferme et Pontéba craignaient de trouver pire là bas ! Ils ne se trompaient pas !

[51] : Chef du bureau arabe de Ténès.

[52] : On a déjà parlé d'eux au chapitre de Pontéba.

[53] : Ce calcul est la retranscription en mot d'une addition / soustraction griffonnée sur la marge du feuillet.

[54] : A partir de là, l'auteur énumère les faits et réalisations de la colonie, mois par mois.

[55] : ça me parait énorme, mais je lis bien 14 ! Erreur ?

[56] : Avec Oponce (nom scientifique), Nopal est le nom hispano-aztèque de ce que l'on appelle aujourd'hui la « figue de barbarie » tant elle est associée à son pays d'accueil, la Berbérie. Une nopalerie est un champ de figues de barbarie.

[57] : Ce sont bien les kilos que nous connaissons. Mais le système métrique mit longtemps pour s'imposer et l'auteur croit encore nécessaire de préciser que son unité de poids découle du système métrique.

[58] : C'est-à-dire 5 fois la quantité plantée.

[59] : 4 fois la quantité plantée.

Document offert et partager gracieusement de la part de notre ami VINCENT VIGNAND



10/09/2011
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