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Séisme D'El Asnam d'Octobre 1980.. Récit d’une tragédie… Par Youcef L'asnami


Séisme D'El Asnam d'Octobre 1980.. Récit d’une tragédie…

 

Par Youcef L'asnami

 

4 Octobre 1980. Fraîchement diplômé de l’INA d’El harrach, et fraîchement recruté par la SOGEDIA d’Alger, j’effectue ma première mission d’inspection avec un collègue de travail d’origine égyptienne à Oran et à Mohammedia pour nous enquérir de la qualité de la matière première transformée des usines flambant neuf. C’était l’époque de l’industrialisation. Nous avons passé la nuit dans un des plus beaux hôtels d’Oran près de la corniche : l’hôtel Thierry. El-Asnam va toujours bien. 
L’inspection s’est bien passée. Je voulais prendre des photos, mais j’ai mal monté la pellicule dans l’appareil. Elle s’est coincée et pour la ressortir il a fallu déchirer le film… Bref.

5 Octobre 1980. Direction SafSaf (Tlemcen) pour inspecter la conserverie. Là aussi, tout va bien et on profite en fin de journée pour visiter la ville de Tlemcen qui me rappelle de très beaux souvenirs puisque c’est dans cette ville que j’ai assisté pour la première fois à un concert de Hadj Ghaffour en plein air. Après ça on retourne à Oran où on passe une 2eme nuit à l’Hotel Thierry. El-Asnam va toujours bien.

6 Octobre 1980. Direction Unité Ben Benbadis à Sidi Be Abbes. Très intéressante unité où j’apprends plus que je n’inspecte. Retour à Oran et 3eme nuit à l’Hotel Thierry. El-Asnam va toujours bien.

7 Octobre 1980. Direction Relizane où on fait notre dernière inspection le matin. Je rentre l’après midi même à El-Asnam par… Stop… (ben oui, je n’étais toujours pas payé…). Wak goulna ginior djedid wella lala ? Le soir petit tour en ville et coucou aux amis…. El-Asnam va toujours bien.

8 Octobre 1980. Après-midi passé chez moi avec mes frères et sœur et ma mère. J’ai noté que mon frère Ahmed m’a donné 6 cassettes audio et m’en a enregistré trois pour la modique somme de 90 DA ! El-Asnam va toujours bien.

9 Octobre 1980. Petit tour en ville avec mon frère Ahmed la matinée. Puis l’après-midi, partie de scrabble très tendue et interrompue par la visite inopinée de la belle-mère d’un de mes frères. 
Je retourne à Alger par le dernier train d’El Asnam (21h ?). Il faisait beau et El-Asnam va toujours bien.

10 Octobre 1980. Journée noire. De graves problèmes personnels m’ont contraint à ne pas sortir de chez moi. J’habitais la rue du Dr Trollard à Alger, près du tunnel des facs. Je me suis réfugié dans la lecture sans mettre ni la radio ni la télé. J’avais besoin de silence et d’évasion. 
A 4 h du matin, j’entends frapper à la porte. J’ouvre. C’était mon frère Abdelkader, la mine dépité. 
- Khir inchallah ! Que se passe t il ?
- Je ne comprends pas. Tu n’es pas au courant ?
- De quoi ?
- Ezzenzla ! El-Asnam est détruite ! Et je voulais venir te rassurer que la famille ça va …
- Mais tu plaisantes ou quoi ? Que racontes-tu là ?
- Bon je dois retourner à El Asnam…. A toi de voir ce que tu as à faire. 
Il me planta là puis repartit me laissant sans voix.
Je sors à 4h30 du matin dans l’espoir de trouver El Moudjahid vers la grande poste où il se vendait dans la rue par un vieux monsieur dont j’étais client. J’avais toujours un immense plaisir de lire le journal le plus tôt possible avant tout le monde… El Moudjahid n’était toujours pas sorti alors je fonce vers la grande poste où il y avait une permanence téléphonique à l’annexe. Je n’ai pu avoir aucun numéro de téléphone et le monsieur de garde m’a confirmé qu’El Asnam a été détruite et que le téléphone ne fonctionne pas. 
5h30 du matin. Je prends un taxi et me rends chez mon ami Abdelkrim qui habitait à Ben Aknoun tout près du ministère de l’ES. 
- Abdelkrim tu es au courant ?
- Oui ! je suis au courant. Mais j’ai essayé de prendre un taxi et personne n’a voulu me conduire. Ils ont peur. Et il n y a pas de bus.

Abdelkrim avait une R12 beige qu’il venait d’acheter. Elle était garée devant chez lui et ne l’utilisait que pour de petits trajets car il ne savait pas encore conduire et était très peureux. Et moi je n’avais pas encore de permis…
- On peut aller à El Asnam avec ta voiture quand même
- Non ! Je ne sais pas conduire et c’est trop loin… (200 km )
- On retourne à la gare routière ?
- Je te dis qu’il n y a aucun bus…. Et aucun taxi ne nous emmènera. Ils ont trop peur… 
- Ecoute moi Abdelkrim. On ne peut pas rester ici alors qu’El asnam est détruite. As-tu des nouvelles de ta famille ?
- Non justement… et c’est ça qui me tracasse…
- Alors prenons courage et allons avec ta voiture. Allumes tes phares et les feux de détresse et Netweklou 3la Rabi…
- ……. (un long moment d’hésitation)….

Puis il se lève en allant récupérer les clés de sa voiture enfuis au fond d’un placard….

On quitte Ben Aknoun vers 8 h du matin. Toux feux allumés avec les feux de détresse. Les sièges de la voiture n’étaient même pas débarrassés de leur plastic. Je demande à Abdelkrim où est le Klaxon car pour moi, c’est l’élément essentiel qui nous permettra de nous prémunir des dangers qui nous attendaient… Après avoir tâtonné un peu partout, on a fini par le trouver… je devais servir de co pilote a Abdelkrim….. J’ai laissé ma fenêtre ouverte au cas où…. Pour crier au cas où le klaxon ne fonctionnait pas et qu’on est en danger… 
On a démarré à 20 ou 30 à l’heure… en Deuxieme…. Il avait peur de lancer la 3eme….
- Abdelkrim on ne va jamais y arriver, lance la 3eme STP… 
- Bon ou tu me laisses conduire, ou je rentre. D’ailleurs je me demande si je ne vais faire demi tour.. Jai trop peur…
- Non wellah que tu conduis comme un pro. Ma etkhafche…. On va y arriver inchallah ! Courage bark
Je me tais. Mon cœur bouillonnait. J’avais hâte d’y être. A cette époque il n y avait aucune autoroute ! Il fallait prendre la nationale où la circulation était très dense : tous les secours, les ambulances, les pompiers, l’armée…. Tous allaient à El-Asnam… qui a enregistré plus de 2500 morts juste le premier jour du séisme, sans parler des très nombreuses répliques qui ont suivi… 
Abdelkrim commençait à prendre confiance en lui…. Et profitant d’une route libre.. il lança la 3eme puis même la quatrième ! L’espoir renaissait !
On a mis un peu plus d’une heure pour être sur la nationale qui mène à El Asnam en passant par Birkhadem…. où on a traversé la ville en klaxonnant sans cesse par peur de n’importe quoi !
A peine arrivés sur la route nationale, et toutes sirènes hurlantes, des motards nous demandaient de laisser passer un convoi de vivres en direction d’El Asnam. Abdelkrim, paniqué, avait peur de serrer à droite car il y avait un fossé et donc ne laissait pas le convoi passer. Un motard arrive à notre niveau et commença à nous insulter en nous demandant de serrer à droite. Abdelkrim trop concentré et stressé ne répondit même pas. Et je me demande même s’il savait ce qui se passait. J’ai répondu au gendarme que c’est un nouveau permis, qu’on est d’El Asnam et qu’on allait voir nos familles dont on est sans nouvelles. Le motard s’est alors excusé pour ses insultes et nous a souhaité bonne route. 
Nous rentrons dans les premiers embouteillages. Nous sommes vers Boufarik… Abdelkrim était jaune. Et moi blanc ! Mais on progressait quand même. 
4 heures après nous arrivons à la cote de Khemis Miliana. A la vue de cette cote, Abdelkrim voulait sortir à la première occasion et faire demi tour. Là, j’élève la voix et lui dit que c’est impossible et qu’on a fait le plus gros… Inutile de vous dire qu’il a callé au moins une dizaine de fois depuis qu’on a quitté Alger. Mais Ma3liche, la voiture redémarrait et l’embrayage tenait bon.

Après avoir dépassé la cote, nous arrivâmes à l’entrée de Ain Defla. Toujours avec une circulation des plus denses et des sirènes aux sons assourdissants et stressant. Abdelkrim est devenu presque un conducteur normal. Par moments, on a même fait du 60 km/h sur une portion de route rectiligne. Une prouesse !  Et même qu’il a osé dépasser une voiture qui roulait à 30km/h, mais en brûlant une ligne jaune. Et comme les gendarmes étaient partout sur la route nationale, on a été arrêté.  Paniqué, Abdelkrim a failli écraser le  gendarme qui nous a fait signe de serrer à droite pour le contrôle des papiers, mais a réussi la manœuvre.

-          Vous êtes malade ou quoi ? Vous avez vu ce que vous venez de faire ? Vos papiers !

Mon ami, épuisé par le stress de la conduite et la mine sombre, chercha les papiers dans sa poche. Pas de papiers ! Il les a oubliés à la maison ! Il avait juste une pièce d’identité marocaine car il faisait partie des SNP à cette époque…. Ces SNP qui ont vu leur situation se régulariser suite au conflit du Sahara Occidental… Et au vu du passeport marocain, le gendarme a tiqué et a vu loin. Abdelkrim ayant perdu ses forces, je sors expliquer au gendarme la situation.

-          Monsieur, mon ami est fatigué. Il n’est marocain que sur papier. Nous sommes d’El Asnam et nous avons grandi et étudié ensemble. Là nous allons voir nos familles ! La voiture est neuve et on la prise à la dernière minute après avoir longtemps hésité. C’est un nouveau permis et on a eu tout le mal du monde à rouler. Pardonnez nous cette faute svp…

-          Vous êtes son avocat ? Retournez à votre place

-          Je ne suis pas son avocat. Mais il est épuisé. Il ne pourra pas vous répondre.

-          Vos papiers !

Je n’avais sur moi que ma carte nationale mais avec une adresse à Alger. Donc aucune preuve que nous sommes d’El-Asnam. Mais à l’intérieur de la CNI, il y avait le billet de train retour d’El-Asnam à Alger pris la veille.

-          Tenez Monsieur. Nous sommes tous les deux d’El Asnam, mais nous habitons Alger. Voila mon billet de train. Hier j’étais dans ma famille à El-Asnam… Vous pouvez garder ma CNI jusqu'à ce qu’on vous ramène les papiers de la voiture

Après un long moment de contrôle de ma CNI le gendarme s’est attendri.

-          Vous avez des nouvelles de vos familles ?

-          Moi oui, El hamdoullah, mais mon ami non. C’est pour ça qu’il est désorienté. Mettez vous à notre place.

Avec cette conversation, nous avons gagné le statut de « menkoubines » - sinistrés- et le gendarme nous pardonnât la faute et nous a laissé continuer notre chemin.

Juste avant El Attaf, nous avons frôlé un grave accident…  Un camion qui venait en sens inverse a failli nous rentrer dedans en dépassant une autre voiture. La conduite dangereuse a toujours existé en Algérie. Elle ne date pas d’aujourd’hui. Et je pense que, dépassé un certain stade, le stress n’a même plus d’effet sur la personne car, bizarrement, ce camion m’a vraiment fait peur à moi mais pas à Abdelkrim qui manifestement a décidé de rester zen jusqu'à notre arrivée..

Nous arrivâmes à Oum El Drou, à une dizaine de km d’El-Asnam… et les premières images du désastre… sur la route. Là aussi, nous avons évité un autre accident en évitant un âne errant apparemment perdu…

Et enfin on arrive à El-Asnam ME-CO-NNAI-SSABLE après 6h de route éreintant ! Immeubles détruits, routes défoncés, des gens qui courraient dans tous les sens, l’armée partout, des ambulances, des pompiers.. Une ambiance apocalyptique de fin du monde.

Abdelkrim voulait me  déposait dans mon quartier à Cité Arroudj puis partir chez lui à Bocca Shanoun. J’ai refusé préférant l’accompagner jusque chez  lui puis revenir à pied chez moi. Je n’aurai pas eu la conscience tranquille de le laisser seul… Il a apprécié ma proposition. J’en profite pour saluer son père et ses frères que je connaissais très bien et leur dit que j’étais ravi qu’ils ne soient pas touchés par le séisme.

Je retourne à pied dans mon quartier et sur la route, je vois les immenses dégâts du séisme…  pas de mots pour décrire mon état. J’arrive dans mon quartier et vais directement dans notre maison. Ouverte mais personne à l’intérieur. Du Hitchcock Wellah !

Je me dirige vers un grand parc mitoyen à notre quartier : « Eljenina » totalement occupée par des tentes. Et je finis par retrouver celles de nos voisins mais pas celle de ma famille.

Un voisin m’a accosté et me dit :

-          Youcef , ne t’inquiète pas. Toute ta famille est saine et sauve. Notre quartier n’a pas été touché, mais un membre de ta famille d’Alger a évacué ta mère, frères et sœurs à Alger…

-           ?????? Yew ?

Après avoir passé une après midi à demander après le reste de la famille et des amis,  je me résous à retourner à Alger le soir même…

Et effectivement, ma famille était à l’abri dans un petit F3 à Bologhine situé juste en face du stade.

La suite ?

 Une semaine après ce séisme, paraissait dans le journal El-Moudjahid, une offre de recrutement d’assistants pour l’université de Tizi-Ouzou. « Logement assuré » disait l’annonce. Je postule et suis convoqué à un entretien de motivation. Reçu par le chef de département de Biologie de l’époque : M. DEHBI.
Ayant expliqué que je suis originaire de CHLEF, M. DEHBI s’enquit de la situation de ma famille. J’ai répondu que notre maison a été épargnée mais que ma famille, par précaution, est sous une tente. Et, à ma grande surprise il me proposa trois logements. Deux petites maisons à la cité d’Irdjen  et un appartement à Freha. Je n’en revenais pas…
Je ramène ma mère et mes frères et sœurs de CHLEF et on débarque à la Cité d’Irdjen. Une magnifique cité de 64 logements dans un cadre féerique. Nous avons occupé les deux logements, laissant celui de Freha à un de mes frères avec sa femme.
A peine arrivés à Irdjen, l’information a fait le tour de la commune et est arrivée aux oreilles du Président de l’APC de cette commune. Dès le lendemain, nous commencions à recevoir des dons de la population locale (des dizaines de couvertures, des vêtements, des chaussures, de l’alimentation etc.). Tout en le remerciant, j’avais vainement expliqué au Président de l’APC que nous n’avions pas besoin de toute cette logistique. Bien que nous soyons des « sinistrés », notre maison n’a pas été détruite et ma famille n’est venue là que dans l’attente de l’ordre de retour aux maisons encore habitables. 
Ma famille est restée à peine un mois à Irdjen, puis a fini par rentrer à CHLEF…. J’ai rendu les deux appartements aux autorités et en ai gardé un pour moi dans cette magnifique cité multiculturelle où il y avait autant de coopérants étrangers (Français, Russes, Irakiens, Belges, …) que d’algériens. 

Une belle époque que je ne suis pas près d’oublier… 



21/12/2018
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